https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/la-roche-sur-yon-85000/yvon-quiniou-philosophe-communiste-et-blogger-2745630
http://actuelmarx.u-paris10.fr/m4quiniou.htm
"La culture scientifique contemporaine semble bien imposer une conception du monde et de l’homme de type matérialiste : la nature a existé avant l’homme, l’homme est issu de ses transformations progressives – nous le savons depuis Darwin – et il n’en est donc qu’une forme, pensée comprise. Toute compréhension rigoureuse, c’est-à-dire scientifique, de ce qui le caractérise doit donc s’inscrire dans ce contexte, ontologique tout autant que méthodologique, et s’en tenir au plan de la nature matérielle. Comment relever ce défi quand il s’agit de la morale ? Celle-ci est en effet associée à l’idée de valeurs commandant à la vie et exigeant qu’elle renonce à ce qui, en elle, pourrait nuire à autrui : peut-on expliquer ce qui paraît transcender la vie à partir de cette même vie, ce qui est le fond même de l’approche matérialiste ? Difficulté redoublée si l’on admet que l’idée d’obligation semble impliquer celle de libre arbitre et que ce concept n’a apparemment pas de place dans la chaîne des processus déterministes que toute science met en évidence. Le matérialisme exclurait-il dans le principe, par sa logique même, la morale ?
Nietzsche est le penseur qui a le mieux tenté de comprendre la morale sur une pareille base matérialiste, à un niveau de profondeur inégalé avant lui, mais sa pensée illustre précisément la difficulté indiquée. Car il s’agit bien d’une pensée de type matérialiste, naturaliste en l’occurrence, soucieuse d’expliquer les valeurs morales sur le terrain de la vie, sans recourir à la moindre transcendance ni divine ni spirituelle – « Le “pur esprit” est une pure sottise », dit-il – , et qui entend le faire en s’appuyant sur les méthodes des sciences les plus positives qui soient : la biologie, la psychologie, mais aussi l’histoire. Ne revendique-t-il pas, dès « Humain, trop humain », le projet d’une « chimie des idées et des sentiments » qui ramène la morale au corps malgré le fossé que la religion et la métaphysique ont voulu creuser entre eux ? Envisagées sous cet éclairage, les valeurs morales apparaissent dans une lumière crue : ce sont des productions vitales qui s’ignorent, des valorisations au service de tel ou tel intérêt, de tel ou tel type de vie et, ultimement, quand ce thème fait irruption dans son œuvre, au service de tel ou tel type de volonté de puissance. Et comme Nietzsche distingue la vie « forte » et la vie « faible », il y aura selon lui la morale des forts – qui va dans le sens de la vie – et la morale des faibles – qui la nie, parce qu’elle n’est pas capable de l’assumer dans sa force et sa prodigalité et qui se donne ainsi un mode d’expression pour sa propre faiblesse.
Quoi qu’il en soit de cette dichotomie, la morale telle qu’on l’entend, celle des faibles, n’est qu’une anti-nature dont la source est dans la nature elle-même et qui s’illusionne sur son statut en se conférant une transcendance imaginaire à l’aide des catégories de l’idéalisme religieux : la morale est de la vie, dans la vie et pour la vie. Le problème est que, en réintégrant ainsi la dimension morale dans la nature, l’explication détruit théoriquement son objet : pour Nietzsche, il n’y a pas de valeurs morales objectives qui s’offriraient à une éventuelle connaissance et définiraient un bien et un mal, rien que des valorisations éthiques définissant seulement un bon et un mauvais et n’ayant de sens qu’à l’intérieur d’un type particulier de vie, sans force de loi donc. La morale n’est qu’une éthique vitale qui s’ignore, celle des faibles en l’occurrence, et considérée en elle-même elle n’est qu’erreur et illusion (lire, ci-dessus, « Morale et éthique »). A quoi s’ajoute la fiction du libre arbitre, autre erreur pour qui pense que l’homme est de part en part « nature », pris dans la nécessité de son déploiement, et qui n’a d’autre fonction que de fonder illusoirement la possibilité de la morale en même temps que de permettre son déploiement concret sous la forme, par exemple, de la punition de la faute.
La leçon de Nietzsche est exemplaire : il semblerait que vouloir expliquer la morale sur le terrain positif de la nature, sans céder aux séductions du discours idéaliste ou religieux dans ce domaine, entraîne inéluctablement à la nier et débouche donc sur un immoralisme radical. Langage déguisé de l’intérêt, de l’égoïsme ou des passions, voire de la volonté de puissance, elle n’aurait pas de sens en soi et il faudrait lui substituer le langage plus modeste de l’éthique, de l’intérêt bien compris, sans force d’obligation et sans universalité prétendue. D’ailleurs, l’histoire de la pensée l’atteste : d’Epicure à Comte-Sponville en passant par Spinoza, La Mettrie et Diderot, chez ceux qui se réclament peu ou prou d’une conception matérialiste de l’homme, c’est ce langage qui prévaut. Et Marx lui-même, si soucieux pourtant de dénoncer l’inhumanité des conditions d’existence faites aux humains par le capitalisme, se méfiait de la critique morale des hommes ; il lui préférait la critique politique d’un système social, débarrassée apparemment de l’emphase moralisante.
Néanmoins, cette solution ne saurait satisfaire pour une raison simple : s’il y a, de toute évidence, une normativité simplement éthique qui régit une grande partie de notre existence, qui s’enracine dans nos désirs, nos besoins, nos formes concrètes de vie et qui a nourri la réflexion des différentes sagesses, il y a, tout aussi évidemment, une normativité proprement morale liée à des jugements de valeur qui touchent à notre vie en commun. Respect d’autrui, refus de son instrumentalisation, de son oppression ou de sa domination, rejet du mensonge, ce sont là, parmi d’autres, des valeurs dotées d’une normativité spécifique qui ne se contentent pas de répéter la vie telle qu’elle va de fait – c’est-à-dire, bien souvent, ne va pas – et qu’aucune réflexion simplement éthique, centrée sur l’intérêt ou le bonheur individuel, ne saurait ni expliquer ni justifier. Elles définissent une sphère de droit dont l’évidence propre saute aux yeux, au moins lorsqu’elle est bafouée, et qui permet de définir l’homme comme un animal moral. D’ailleurs, même ceux qui ne l’admettent pas explicitement ne peuvent s’empêcher de recourir au langage de la morale, quitte à le déplacer et à le rendre partiellement méconnaissable : Nietzsche n’a-t-il pas avoué que son travail critique répondait lui-même à un souci moral et Marx n’a-t-il pas reconnu la motivation morale de sa critique sociale – clairement évidente, au demeurant, dans ses textes, y compris les plus scientifiques ? Comment rendre compte alors de ce fait, qui est le fait d’un droit, sur le terrain du matérialisme, c’est-à-dire en maintenant l’idée, désormais irrécusable, que l’homme est bien un animal, sans privilège d’extraterritorialité au sein de la nature totale, mais sans verser dans l’immoralisme théorique que cette idée paraît devoir entraîner ?
La première réponse, fondatrice de la suite de la réflexion, se trouve justement, et paradoxalement, chez celui qui a établi scientifiquement l’origine animale de l’homme : Darwin. D’abord, parce qu’en rapprochant l’homme de l’animal l’auteur de « la Filiation de l’homme » rapproche, en sens inverse, l’animal de l’homme. Il n’y a pas pour lui de « barrière infranchissable » entre eux : si les facultés proprement humaines ont leur origine dans l’évolution des espèces, cela signifie que l’on peut en trouver une anticipation embryonnaire chez l’animal et que c’est seulement l’accroissement considérable en degré de chacune d’elles, ajouté à celui des autres facultés et aidé par lui, qui produit la différenciation décisive que nous constatons aujourd’hui. C’est dire que la morale est aussi anticipée chez les animaux sous la forme de comportements d’entraide ou de sentiments moraux internes à une espèce considérée : la naturalisation de la morale ne fait, ici, qu’en signaler l’apparition progressive dans la chaîne animale, sans rupture magique, donc, au nom du principe matérialiste fondamental de la continuité naturelle.
Ensuite, parce que sa théorie comporte un aspect essentiel qui permet de comprendre comment la morale trouve sa source dans la vie animale tout en s’y opposant, et fait donc émerger un nouveau rapport à la vie qui caractérise l’homme – ce que Patrick Tort a appelé l’« effet réversif de l’évolution » : la sélection naturelle, moteur de l’évolution, sélectionne avec l’homme les instincts sociaux et des sentiments comme la sympathie qui, à l’aide de l’éducation et du développement de la rationalité, dotent progressivement l’humanité d’un sens proprement moral de valeurs à visée universelle qui assure à celle-ci son triomphe évolutif. L’intérêt de cette explication est, bien entendu, énorme du point de vue du matérialisme : elle montre que la morale, tout en ayant sa source dans la vie animale, ne s’y réduit pas, puisqu’elle nous commande de nous opposer à la concurrence vitale et aux effets éliminatoires que celle-ci induit massivement dans le règne animal. En la traitant comme un fait d’évolution compris comme un effet particulier, quoique paradoxal, de la logique sélective qui anime cette évolution, en l’offrant donc par principe à l’approche factuelle, positive et rationnelle de la science pour laquelle rien ne saurait transcender la nature matérielle et échapper à ses mécanismes, elle ne la détruit pas ; elle en préserve la spécificité normative : celle de nous orienter vers l’universel et de nous en faire une obligation. Si donc la morale constitue un fait naturel, et non une dimension surnaturelle de l’existence devant laquelle la science devrait s’incliner, il s’agit du fait d’une dimension de droit, donc du fait d’une dimension par laquelle l’homme échappe à la tyrannie ontologie du pur fait.
Reste que nous sommes bien sur le terrain de la nature. Pouvons-nous nous satisfaire d’une approche qui semble confier à la seule biologie le soin de résoudre la question morale ? Les progrès des sciences cognitives et des neurosciences, comme la multiplication de travaux qui s’en inspirent, paraîtraient aller dans ce sens. On voit ainsi Jean-Pierre Changeux soutenir la thèse d’un soubassement cérébral et neuronal de la compétence morale de l’homme, traitée alors comme un fait biologique au même titre que l’intelligence ou le langage, dans une perspective clairement évolutionniste et donc dans le cadre d’un matérialisme dur ou radical. A l’horizon, il y a bien le projet de trouver – tel est d’ailleurs le titre d’un ouvrage collectif qu’il a dirigé – des « fondements naturels de l’éthique » : entendons, par-delà le flottement du vocabulaire, trouver une origine ou une base naturelle à la morale – car c’est de morale qu’il s’agit – en récusant donc toute perspective spiritualiste.
Or ce qui frappe dans ces travaux, c’est leur diversité : ils convoquent des psychologues, des ethnologues ou des sociologues et pas seulement des biologistes, avouant ainsi l’incapacité de la seule biologie à expliquer la morale. Non seulement parce que de la science, qui fonctionne à l’indicatif, on ne saurait tirer des normes obligatoires, qui fonctionnent à l’impératif, et qu’il ne faut pas confondre une conception scientifique de la morale – de son origine ou de son fonctionnement – avec une morale scientifique, mais surtout parce qu’il est clair que la morale est soumise à la culture ou à l’histoire : si la possibilité générale d’une morale chez l’homme est bien fournie par la nature sous la forme d’un acquis évolutif, le contenu effectif de ce qui s’est pensé comme morale est dépendant des conditions culturelles et historiques ; ce que Changeux est le premier à reconnaître, évitant ainsi nettement le piège du réductionnisme biologiste. En ce sens, il y a eu et il y a encore des morales, bien que, dans le principe et eu égard à sa visée universaliste, il ne devrait y avoir qu’une morale… tandis qu’il est normal qu’il y ait des éthiques. Comment alors penser l’historicité de la morale, au-delà de son enracinement naturel, si l’on maintient que ce qui la distingue de l’éthique, c’est précisément sa prétention à l’universalité ? Le matérialisme, ici, doit se faire historique et se tourner vers Marx, quitte à le dépasser ou à le critiquer.
Ce que nous rappelle Marx, c’est qu’il n’y a pas la morale, conçue comme instance suprahistorique, mais des morales, toujours historiquement situées. La morale doit donc être pensée comme un phénomène idéologique, comme une production de la conscience qui exprime, chaque fois, tout en le déniant, des intérêts de classe ou, plus largement, de groupe – de nation, de culture – qu’elle réfléchit dans l’élément de la valeur et en leur conférant indûment une signification universelle. On est bien en présence d’une approche immanente pour laquelle « c’est la vie qui détermine la conscience », sauf que cette vie n’est pas biologique mais historico-pratique et traversée par des intérêts contradictoires. Le problème est que rien, dans cette perspective, ne permet de penser la spécificité de la morale : celle-ci n’est que le langage déguisé de l’intérêt matériel, fonctionnel à celui-ci ; elle n’est qu’une éthique, mais de groupe, et l’on ne voit pas comment une problématique de l’universalité morale est concevable sur cette base théorique. On ne voit pas non plus comment on pourrait choisir entre les différentes morales de classe ou indiquer un progrès historique de l’une à l’autre, sauf à réintroduire un critère d’appréciation suprahistorique que la théorie refuse.
Le matérialisme, ici, alimente de nouveau l’immoralisme théorique. Pour éviter cela, tout en intégrant l’évidente immersion de la conscience humaine dans l’histoire, il faut donc admettre qu’il y a ce que Jürgen Habermas appelle des « processus d’apprentissage », mais historiquement situés, à l’occasion desquels l’homme prend conscience, sinon connaissance, de valeurs qui dépassent l’occasion historique de leur découverte en raison, précisément, de leur universalité. Car la morale ne saurait être réduite à un seul jeu d’intérêts particuliers, sauf à être niée dans ce qui la définit : la saisie d’exigences universelles par lesquelles les intérêts de tous sont conciliés. Et ce moment de l’Universel ne saurait relever d’une simple décision vitale : il y a, comme le dit encore Habermas, un « moment cognitif » irréductible dans la prise de conscience des valeurs morales qui les fait échapper à l’arbitraire aussi bien de l’éthique que de l’idéologie, ou même de la simple volonté, et les inscrit dans un champ d’objectivité pratique (lire, ci-dessus, « le Paradigme kantien »).
Il ne faut donc pas dire que l’histoire produit, au sens strict, les valeurs morales : elle ne produit que les conditions historiques à l’occasion desquelles celles-ci sont, en quelque sorte, connues dans leur validité transhistorique. Il faut donc parler, ici aussi, d’émergence : progressivement, des valeurs morales émergent dans l’histoire à partir d’une gangue éthique et idéologique fournie par cette même histoire, et elles ont pour caractéristique de présenter une validité qui transcende désormais le moment de leur apparition. La « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 en est une bonne illustration : elle objective dans un droit positif des exigences normatives – égalité et liberté de tous les hommes – qui ne pouvaient être saisies que dans les conditions du temps, mais qui valent désormais pour tous les temps et pour tous les peuples… précisément parce qu’elles sont morales.
Pourtant, c’est bien à la raison de dire ce qui vaut : l’histoire elle-même, pas plus que la nature, ne saurait justifier ou fonder la valeur des valeurs qu’elle fait apparaître et dont elle nous permet pourtant de comprendre l’origine factuelle. C’est à la raison de faire le tri et de reprendre sur un plan normatif, par une réflexion critique, ce qui s’offre à son libre jugement. La situation, à ce niveau, ne change donc pas quand on passe de l’idéalisme spiritualiste au matérialisme. Ce qui change, c’est le statut que l’on doit conférer à cette raison : non plus faculté immuable d’origine transcendante, mais faculté naturelle ayant sa source dans l’évolution et soumise à un procès proprement historique de développement, lequel s’accompagne d’un progrès vers et dans la morale, dans l’accès à ses valeurs constitutives comme dans l’intelligence de plus en plus fine de leur champ d’application.
Reste au matérialisme à résoudre l’autre difficulté, qui pourrait paraître insurmontable : celle du libre arbitre. Car la morale, avec ses obligations, s’adresse bien à un sujet appelé à choisir et non à une marionnette dépourvue d'initiative. Un pareil sujet a-t-il sa place à l’intérieur d’une ontologie matérialiste et, sinon, que devient la morale ? Disons pour le moins que la question demeure ouverte : si le matérialisme ne saurait fonder théoriquement la morale sur la référence à un Sujet métaphysique (avec « s »majuscule), rien ne dit qu’il ne puisse élaborer une conception d’un sujet non métaphysique (avec « s » minuscule), produit de la culture et de l’éducation, limité dans ses capacités mais capable d’entendre ou d’être interpellé par une obligation morale."
https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2000_num_68_1_2230
"Le matérialisme paraît bien devoir exclure la morale." (p.12)
"L'homme, être à la fois naturel et historique, est considéré comme pris dans un déterminisme complexe qui, s'il n'exclut pas la liberté au sens d'un processus de libération maîtrisant la nécessité du déploiement du réel, exclut radicalement la liberté entendue au sens d'un libre arbitre métaphysique et empêche donc que l'on intente aux individus des procès à signification morale." (p.13)
"Le matérialisme marxien oblige à une révolution par rapport à l'approche morale: celle-ci accuse les individus comme s'ils étaient responsables de leurs actions ou exactions, crimes, violence, délinquance, comportements de classe, etc. Le matérialisme historique, lui, à la fois renverse la perspective et déplace le chef d'accusation: au lieu d'incriminer les individus, il accuse les structures sociales. Il n'y a donc pas pour le marxisme d'individus méchants, il n'y a que des structures sociales mauvaises qui produisent ce qui s'appréhende imaginairement comme de la "méchanceté". Cela modifie dès lors complètement l'attitude pratique qu'il convient d'adopter pour supprimer le "mal": au couple idéaliste accusation (ou responsabilisation) individuelle / répression, il faut substituer la chaîne déterministe, ancrée dans des processus matériels, prévention / transformation / rééducation / réinsertion, le tout pris, on peut le dire sans emphase, dans l'horizon d'une "révolution" de l'ordre injuste du monde." (p.15)
"L'œuvre de Marx engage une normativité morale de type kantien. Un seul exemple ici suffira, d'autant qu'il est central: la critique de l'exploitation de l'homme par l'homme engage l'idée que celle-ci n'est pas universalisable, que l'exploité n'est pas considéré comme une fin en soi (un homme avec ses besoins propres) mais réduit à l'état de moyen productif (pour la production du capital) et qu'enfin il n'est pas autonome mais hétéronome, enfermé dans un processus objectif d'aliénation. Par où l'on retrouve, mais à l'état silencieux ou invisible parce que investies dans une matière historico-sociale concrète, les trois formules de l'impératif moral kantien." (p.16)
"Le statut de cette normativité tout comme son type d'objectivité fait problème: elle est issue de l'histoire, -et au-delà, de la nature- tout en la transcendant quelque part puisque la valeur a pour fonction de juger cette même histoire ; et on ne saurait la fonder, en particulier dans sa double détermination d'universalité et d'impérativité, sur la référence à un sujet intelligible." (p.16)
-Yvon Quiniou, "La question morale dans le marxisme", Autres Temps, Année 2000, 68, pp. 10-18.
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=18644
https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2006-1-page-71.htm
http://actuelmarx.u-paris10.fr/m4quiniou.htm
"La culture scientifique contemporaine semble bien imposer une conception du monde et de l’homme de type matérialiste : la nature a existé avant l’homme, l’homme est issu de ses transformations progressives – nous le savons depuis Darwin – et il n’en est donc qu’une forme, pensée comprise. Toute compréhension rigoureuse, c’est-à-dire scientifique, de ce qui le caractérise doit donc s’inscrire dans ce contexte, ontologique tout autant que méthodologique, et s’en tenir au plan de la nature matérielle. Comment relever ce défi quand il s’agit de la morale ? Celle-ci est en effet associée à l’idée de valeurs commandant à la vie et exigeant qu’elle renonce à ce qui, en elle, pourrait nuire à autrui : peut-on expliquer ce qui paraît transcender la vie à partir de cette même vie, ce qui est le fond même de l’approche matérialiste ? Difficulté redoublée si l’on admet que l’idée d’obligation semble impliquer celle de libre arbitre et que ce concept n’a apparemment pas de place dans la chaîne des processus déterministes que toute science met en évidence. Le matérialisme exclurait-il dans le principe, par sa logique même, la morale ?
Nietzsche est le penseur qui a le mieux tenté de comprendre la morale sur une pareille base matérialiste, à un niveau de profondeur inégalé avant lui, mais sa pensée illustre précisément la difficulté indiquée. Car il s’agit bien d’une pensée de type matérialiste, naturaliste en l’occurrence, soucieuse d’expliquer les valeurs morales sur le terrain de la vie, sans recourir à la moindre transcendance ni divine ni spirituelle – « Le “pur esprit” est une pure sottise », dit-il – , et qui entend le faire en s’appuyant sur les méthodes des sciences les plus positives qui soient : la biologie, la psychologie, mais aussi l’histoire. Ne revendique-t-il pas, dès « Humain, trop humain », le projet d’une « chimie des idées et des sentiments » qui ramène la morale au corps malgré le fossé que la religion et la métaphysique ont voulu creuser entre eux ? Envisagées sous cet éclairage, les valeurs morales apparaissent dans une lumière crue : ce sont des productions vitales qui s’ignorent, des valorisations au service de tel ou tel intérêt, de tel ou tel type de vie et, ultimement, quand ce thème fait irruption dans son œuvre, au service de tel ou tel type de volonté de puissance. Et comme Nietzsche distingue la vie « forte » et la vie « faible », il y aura selon lui la morale des forts – qui va dans le sens de la vie – et la morale des faibles – qui la nie, parce qu’elle n’est pas capable de l’assumer dans sa force et sa prodigalité et qui se donne ainsi un mode d’expression pour sa propre faiblesse.
Quoi qu’il en soit de cette dichotomie, la morale telle qu’on l’entend, celle des faibles, n’est qu’une anti-nature dont la source est dans la nature elle-même et qui s’illusionne sur son statut en se conférant une transcendance imaginaire à l’aide des catégories de l’idéalisme religieux : la morale est de la vie, dans la vie et pour la vie. Le problème est que, en réintégrant ainsi la dimension morale dans la nature, l’explication détruit théoriquement son objet : pour Nietzsche, il n’y a pas de valeurs morales objectives qui s’offriraient à une éventuelle connaissance et définiraient un bien et un mal, rien que des valorisations éthiques définissant seulement un bon et un mauvais et n’ayant de sens qu’à l’intérieur d’un type particulier de vie, sans force de loi donc. La morale n’est qu’une éthique vitale qui s’ignore, celle des faibles en l’occurrence, et considérée en elle-même elle n’est qu’erreur et illusion (lire, ci-dessus, « Morale et éthique »). A quoi s’ajoute la fiction du libre arbitre, autre erreur pour qui pense que l’homme est de part en part « nature », pris dans la nécessité de son déploiement, et qui n’a d’autre fonction que de fonder illusoirement la possibilité de la morale en même temps que de permettre son déploiement concret sous la forme, par exemple, de la punition de la faute.
La leçon de Nietzsche est exemplaire : il semblerait que vouloir expliquer la morale sur le terrain positif de la nature, sans céder aux séductions du discours idéaliste ou religieux dans ce domaine, entraîne inéluctablement à la nier et débouche donc sur un immoralisme radical. Langage déguisé de l’intérêt, de l’égoïsme ou des passions, voire de la volonté de puissance, elle n’aurait pas de sens en soi et il faudrait lui substituer le langage plus modeste de l’éthique, de l’intérêt bien compris, sans force d’obligation et sans universalité prétendue. D’ailleurs, l’histoire de la pensée l’atteste : d’Epicure à Comte-Sponville en passant par Spinoza, La Mettrie et Diderot, chez ceux qui se réclament peu ou prou d’une conception matérialiste de l’homme, c’est ce langage qui prévaut. Et Marx lui-même, si soucieux pourtant de dénoncer l’inhumanité des conditions d’existence faites aux humains par le capitalisme, se méfiait de la critique morale des hommes ; il lui préférait la critique politique d’un système social, débarrassée apparemment de l’emphase moralisante.
Néanmoins, cette solution ne saurait satisfaire pour une raison simple : s’il y a, de toute évidence, une normativité simplement éthique qui régit une grande partie de notre existence, qui s’enracine dans nos désirs, nos besoins, nos formes concrètes de vie et qui a nourri la réflexion des différentes sagesses, il y a, tout aussi évidemment, une normativité proprement morale liée à des jugements de valeur qui touchent à notre vie en commun. Respect d’autrui, refus de son instrumentalisation, de son oppression ou de sa domination, rejet du mensonge, ce sont là, parmi d’autres, des valeurs dotées d’une normativité spécifique qui ne se contentent pas de répéter la vie telle qu’elle va de fait – c’est-à-dire, bien souvent, ne va pas – et qu’aucune réflexion simplement éthique, centrée sur l’intérêt ou le bonheur individuel, ne saurait ni expliquer ni justifier. Elles définissent une sphère de droit dont l’évidence propre saute aux yeux, au moins lorsqu’elle est bafouée, et qui permet de définir l’homme comme un animal moral. D’ailleurs, même ceux qui ne l’admettent pas explicitement ne peuvent s’empêcher de recourir au langage de la morale, quitte à le déplacer et à le rendre partiellement méconnaissable : Nietzsche n’a-t-il pas avoué que son travail critique répondait lui-même à un souci moral et Marx n’a-t-il pas reconnu la motivation morale de sa critique sociale – clairement évidente, au demeurant, dans ses textes, y compris les plus scientifiques ? Comment rendre compte alors de ce fait, qui est le fait d’un droit, sur le terrain du matérialisme, c’est-à-dire en maintenant l’idée, désormais irrécusable, que l’homme est bien un animal, sans privilège d’extraterritorialité au sein de la nature totale, mais sans verser dans l’immoralisme théorique que cette idée paraît devoir entraîner ?
La première réponse, fondatrice de la suite de la réflexion, se trouve justement, et paradoxalement, chez celui qui a établi scientifiquement l’origine animale de l’homme : Darwin. D’abord, parce qu’en rapprochant l’homme de l’animal l’auteur de « la Filiation de l’homme » rapproche, en sens inverse, l’animal de l’homme. Il n’y a pas pour lui de « barrière infranchissable » entre eux : si les facultés proprement humaines ont leur origine dans l’évolution des espèces, cela signifie que l’on peut en trouver une anticipation embryonnaire chez l’animal et que c’est seulement l’accroissement considérable en degré de chacune d’elles, ajouté à celui des autres facultés et aidé par lui, qui produit la différenciation décisive que nous constatons aujourd’hui. C’est dire que la morale est aussi anticipée chez les animaux sous la forme de comportements d’entraide ou de sentiments moraux internes à une espèce considérée : la naturalisation de la morale ne fait, ici, qu’en signaler l’apparition progressive dans la chaîne animale, sans rupture magique, donc, au nom du principe matérialiste fondamental de la continuité naturelle.
Ensuite, parce que sa théorie comporte un aspect essentiel qui permet de comprendre comment la morale trouve sa source dans la vie animale tout en s’y opposant, et fait donc émerger un nouveau rapport à la vie qui caractérise l’homme – ce que Patrick Tort a appelé l’« effet réversif de l’évolution » : la sélection naturelle, moteur de l’évolution, sélectionne avec l’homme les instincts sociaux et des sentiments comme la sympathie qui, à l’aide de l’éducation et du développement de la rationalité, dotent progressivement l’humanité d’un sens proprement moral de valeurs à visée universelle qui assure à celle-ci son triomphe évolutif. L’intérêt de cette explication est, bien entendu, énorme du point de vue du matérialisme : elle montre que la morale, tout en ayant sa source dans la vie animale, ne s’y réduit pas, puisqu’elle nous commande de nous opposer à la concurrence vitale et aux effets éliminatoires que celle-ci induit massivement dans le règne animal. En la traitant comme un fait d’évolution compris comme un effet particulier, quoique paradoxal, de la logique sélective qui anime cette évolution, en l’offrant donc par principe à l’approche factuelle, positive et rationnelle de la science pour laquelle rien ne saurait transcender la nature matérielle et échapper à ses mécanismes, elle ne la détruit pas ; elle en préserve la spécificité normative : celle de nous orienter vers l’universel et de nous en faire une obligation. Si donc la morale constitue un fait naturel, et non une dimension surnaturelle de l’existence devant laquelle la science devrait s’incliner, il s’agit du fait d’une dimension de droit, donc du fait d’une dimension par laquelle l’homme échappe à la tyrannie ontologie du pur fait.
Reste que nous sommes bien sur le terrain de la nature. Pouvons-nous nous satisfaire d’une approche qui semble confier à la seule biologie le soin de résoudre la question morale ? Les progrès des sciences cognitives et des neurosciences, comme la multiplication de travaux qui s’en inspirent, paraîtraient aller dans ce sens. On voit ainsi Jean-Pierre Changeux soutenir la thèse d’un soubassement cérébral et neuronal de la compétence morale de l’homme, traitée alors comme un fait biologique au même titre que l’intelligence ou le langage, dans une perspective clairement évolutionniste et donc dans le cadre d’un matérialisme dur ou radical. A l’horizon, il y a bien le projet de trouver – tel est d’ailleurs le titre d’un ouvrage collectif qu’il a dirigé – des « fondements naturels de l’éthique » : entendons, par-delà le flottement du vocabulaire, trouver une origine ou une base naturelle à la morale – car c’est de morale qu’il s’agit – en récusant donc toute perspective spiritualiste.
Or ce qui frappe dans ces travaux, c’est leur diversité : ils convoquent des psychologues, des ethnologues ou des sociologues et pas seulement des biologistes, avouant ainsi l’incapacité de la seule biologie à expliquer la morale. Non seulement parce que de la science, qui fonctionne à l’indicatif, on ne saurait tirer des normes obligatoires, qui fonctionnent à l’impératif, et qu’il ne faut pas confondre une conception scientifique de la morale – de son origine ou de son fonctionnement – avec une morale scientifique, mais surtout parce qu’il est clair que la morale est soumise à la culture ou à l’histoire : si la possibilité générale d’une morale chez l’homme est bien fournie par la nature sous la forme d’un acquis évolutif, le contenu effectif de ce qui s’est pensé comme morale est dépendant des conditions culturelles et historiques ; ce que Changeux est le premier à reconnaître, évitant ainsi nettement le piège du réductionnisme biologiste. En ce sens, il y a eu et il y a encore des morales, bien que, dans le principe et eu égard à sa visée universaliste, il ne devrait y avoir qu’une morale… tandis qu’il est normal qu’il y ait des éthiques. Comment alors penser l’historicité de la morale, au-delà de son enracinement naturel, si l’on maintient que ce qui la distingue de l’éthique, c’est précisément sa prétention à l’universalité ? Le matérialisme, ici, doit se faire historique et se tourner vers Marx, quitte à le dépasser ou à le critiquer.
Ce que nous rappelle Marx, c’est qu’il n’y a pas la morale, conçue comme instance suprahistorique, mais des morales, toujours historiquement situées. La morale doit donc être pensée comme un phénomène idéologique, comme une production de la conscience qui exprime, chaque fois, tout en le déniant, des intérêts de classe ou, plus largement, de groupe – de nation, de culture – qu’elle réfléchit dans l’élément de la valeur et en leur conférant indûment une signification universelle. On est bien en présence d’une approche immanente pour laquelle « c’est la vie qui détermine la conscience », sauf que cette vie n’est pas biologique mais historico-pratique et traversée par des intérêts contradictoires. Le problème est que rien, dans cette perspective, ne permet de penser la spécificité de la morale : celle-ci n’est que le langage déguisé de l’intérêt matériel, fonctionnel à celui-ci ; elle n’est qu’une éthique, mais de groupe, et l’on ne voit pas comment une problématique de l’universalité morale est concevable sur cette base théorique. On ne voit pas non plus comment on pourrait choisir entre les différentes morales de classe ou indiquer un progrès historique de l’une à l’autre, sauf à réintroduire un critère d’appréciation suprahistorique que la théorie refuse.
Le matérialisme, ici, alimente de nouveau l’immoralisme théorique. Pour éviter cela, tout en intégrant l’évidente immersion de la conscience humaine dans l’histoire, il faut donc admettre qu’il y a ce que Jürgen Habermas appelle des « processus d’apprentissage », mais historiquement situés, à l’occasion desquels l’homme prend conscience, sinon connaissance, de valeurs qui dépassent l’occasion historique de leur découverte en raison, précisément, de leur universalité. Car la morale ne saurait être réduite à un seul jeu d’intérêts particuliers, sauf à être niée dans ce qui la définit : la saisie d’exigences universelles par lesquelles les intérêts de tous sont conciliés. Et ce moment de l’Universel ne saurait relever d’une simple décision vitale : il y a, comme le dit encore Habermas, un « moment cognitif » irréductible dans la prise de conscience des valeurs morales qui les fait échapper à l’arbitraire aussi bien de l’éthique que de l’idéologie, ou même de la simple volonté, et les inscrit dans un champ d’objectivité pratique (lire, ci-dessus, « le Paradigme kantien »).
Il ne faut donc pas dire que l’histoire produit, au sens strict, les valeurs morales : elle ne produit que les conditions historiques à l’occasion desquelles celles-ci sont, en quelque sorte, connues dans leur validité transhistorique. Il faut donc parler, ici aussi, d’émergence : progressivement, des valeurs morales émergent dans l’histoire à partir d’une gangue éthique et idéologique fournie par cette même histoire, et elles ont pour caractéristique de présenter une validité qui transcende désormais le moment de leur apparition. La « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789 en est une bonne illustration : elle objective dans un droit positif des exigences normatives – égalité et liberté de tous les hommes – qui ne pouvaient être saisies que dans les conditions du temps, mais qui valent désormais pour tous les temps et pour tous les peuples… précisément parce qu’elles sont morales.
Pourtant, c’est bien à la raison de dire ce qui vaut : l’histoire elle-même, pas plus que la nature, ne saurait justifier ou fonder la valeur des valeurs qu’elle fait apparaître et dont elle nous permet pourtant de comprendre l’origine factuelle. C’est à la raison de faire le tri et de reprendre sur un plan normatif, par une réflexion critique, ce qui s’offre à son libre jugement. La situation, à ce niveau, ne change donc pas quand on passe de l’idéalisme spiritualiste au matérialisme. Ce qui change, c’est le statut que l’on doit conférer à cette raison : non plus faculté immuable d’origine transcendante, mais faculté naturelle ayant sa source dans l’évolution et soumise à un procès proprement historique de développement, lequel s’accompagne d’un progrès vers et dans la morale, dans l’accès à ses valeurs constitutives comme dans l’intelligence de plus en plus fine de leur champ d’application.
Reste au matérialisme à résoudre l’autre difficulté, qui pourrait paraître insurmontable : celle du libre arbitre. Car la morale, avec ses obligations, s’adresse bien à un sujet appelé à choisir et non à une marionnette dépourvue d'initiative. Un pareil sujet a-t-il sa place à l’intérieur d’une ontologie matérialiste et, sinon, que devient la morale ? Disons pour le moins que la question demeure ouverte : si le matérialisme ne saurait fonder théoriquement la morale sur la référence à un Sujet métaphysique (avec « s »majuscule), rien ne dit qu’il ne puisse élaborer une conception d’un sujet non métaphysique (avec « s » minuscule), produit de la culture et de l’éducation, limité dans ses capacités mais capable d’entendre ou d’être interpellé par une obligation morale."
https://www.persee.fr/doc/chris_0753-2776_2000_num_68_1_2230
"Le matérialisme paraît bien devoir exclure la morale." (p.12)
"L'homme, être à la fois naturel et historique, est considéré comme pris dans un déterminisme complexe qui, s'il n'exclut pas la liberté au sens d'un processus de libération maîtrisant la nécessité du déploiement du réel, exclut radicalement la liberté entendue au sens d'un libre arbitre métaphysique et empêche donc que l'on intente aux individus des procès à signification morale." (p.13)
"Le matérialisme marxien oblige à une révolution par rapport à l'approche morale: celle-ci accuse les individus comme s'ils étaient responsables de leurs actions ou exactions, crimes, violence, délinquance, comportements de classe, etc. Le matérialisme historique, lui, à la fois renverse la perspective et déplace le chef d'accusation: au lieu d'incriminer les individus, il accuse les structures sociales. Il n'y a donc pas pour le marxisme d'individus méchants, il n'y a que des structures sociales mauvaises qui produisent ce qui s'appréhende imaginairement comme de la "méchanceté". Cela modifie dès lors complètement l'attitude pratique qu'il convient d'adopter pour supprimer le "mal": au couple idéaliste accusation (ou responsabilisation) individuelle / répression, il faut substituer la chaîne déterministe, ancrée dans des processus matériels, prévention / transformation / rééducation / réinsertion, le tout pris, on peut le dire sans emphase, dans l'horizon d'une "révolution" de l'ordre injuste du monde." (p.15)
"L'œuvre de Marx engage une normativité morale de type kantien. Un seul exemple ici suffira, d'autant qu'il est central: la critique de l'exploitation de l'homme par l'homme engage l'idée que celle-ci n'est pas universalisable, que l'exploité n'est pas considéré comme une fin en soi (un homme avec ses besoins propres) mais réduit à l'état de moyen productif (pour la production du capital) et qu'enfin il n'est pas autonome mais hétéronome, enfermé dans un processus objectif d'aliénation. Par où l'on retrouve, mais à l'état silencieux ou invisible parce que investies dans une matière historico-sociale concrète, les trois formules de l'impératif moral kantien." (p.16)
"Le statut de cette normativité tout comme son type d'objectivité fait problème: elle est issue de l'histoire, -et au-delà, de la nature- tout en la transcendant quelque part puisque la valeur a pour fonction de juger cette même histoire ; et on ne saurait la fonder, en particulier dans sa double détermination d'universalité et d'impérativité, sur la référence à un sujet intelligible." (p.16)
-Yvon Quiniou, "La question morale dans le marxisme", Autres Temps, Année 2000, 68, pp. 10-18.
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=auteurs&obj=artiste&no=18644
https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2006-1-page-71.htm
Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Dim 20 Déc - 16:37, édité 1 fois