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    Platon, Œuvres complètes

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 23 Juil - 10:24

    http://fr.wikisource.org/wiki/%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_de_Platon
    http://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:Platon

    "Socrate. — Considérons maintenant la cité. Quelles sont les choses qui font, l’une par sa présence, l’autre par son absence, qu’elle fonctionne mieux, qu’elle se garde en meilleur état et est mieux administrée ?

    Alcibiade. — Si je ne me trompe, Socrate, c’est lorsque l’amitié entre les citoyens est présente, tandis que la haine et l’esprit de faction sont absents.
    "

    "Socrate. — Qu’est-ce donc que l’homme ?"

    "Celui-là seul t’aime qui aime ton âme."

    "Il te faut d’abord acquérir toi-même de la vertu, et c’est aussi le devoir de quiconque veut gouverner et administrer non seulement sa propre personne et ses intérêts à lui, mais aussi sa ville et les intérêts publics."

    "Si vous agissez avec justice et sagesse, toi-même et la république, vous plairez aux dieux par vos actions."

    "Ce n’est pas le pouvoir absolu, mon brave Alcibiade, qu’il faut ambitionner ni pour toi ni pour la ville, si vous voulez être heureux, c’est la vertu."

    "Alcibiade. — En tout cas, c’est décidé : je vais commencer dès à présent à m’appliquer à la justice.

    Socrate. — Je souhaite que tu y persévères. Mais j’ai grand peur. Non que je me défie de ta nature, mais je vois la puissance de notre peuple et je redoute qu’elle ne l’emporte sur moi et sur toi
    ."
    -Platon, Alcibiade.

    "Non, bien sûr, Athéniens, ce n'est pas, par Zeus! un langage élégamment tourné que vous entendrez, ni possédant non plus, comme le leur, toutes les parures du vocabulaire et du style, mais plutôt des choses dites à la bonne fortune, dans les termes qui me viendront à l'esprit: c'est que j'ai foi dans la justice des choses que je dis."

    "A la vérité, c'est pourtant une belle chose, à mon sens, d'être capable, éventuellement, de faire l'éducation des gens."

    "Voilà un homme qui est moins sage que moi. Il est possible en effet que nous ne sachions, ni l'un ni l'autre, rien de beau et de bon. Mais lui, il croit qu'il en sait, alors qu'il n'en sait pas, tandis que moi, tout de même que, en fait, je n'en sais pas, pas davantage, je ne crois pas que je sais ! J'ai l'air, en tout cas, d'être plus sage que celui-là, au moins sur un petit point, celui-ci précisément: que ce que je ne savais pas, je ne croyais pas non plus le savoir !"

    "L'humaine sagesse a peu de valeur ou n'en a même aucune."

    "De la mort, nul n'a de savoir, pas même si ce n'est pas précisément pour l'homme le plus grand des biens; mais on la craint, comme si l'on savait parfaitement qu'il n'y a pas de plus grand mal !"

    "Que celui qui aspire à combattre réellement pour la justice, mène, si peu de temps qu'il veuille sauvegarder son existence, la vie d'un simple particulier et non celle d'un homme public."

    "Il n'y a personne, non vraiment personne à qui j'aie fait de concession au mépris de la justice et par crainte de la mort."

    "Voilà pourtant que l'heure est déjà venue de nous en aller, moi pour mourir dans quelques temps, vous pour continuer à vivre ! Qui, de vous ou de moi, va vers le meilleur destin ?"
    -Platon, Apologie de Socrate.

    "Pourquoi nous soucier à ce point, bienheureux Criton, de l'opinion du plus grand nombre ?"

    "[Criton] Il faut ne pas faire d'enfants, ou bien il faut prendre ensemble la peine de les élever et de faire leur éducation."

    "Socrate: Mais nous vaut-il la peine de vivre avec un corps perverti et qui a été corrompu ?"

    " [Socrate] Ce dont il faut faire le plus de cas, ce n'est pas de vivre, mais de vivre bien."

    "[Socrate] On ne doit, ni par l'injustice répondre à l'injustice, ni faire en retour du mal à aucun de ses semblables, et quelle que soit même la façon dont ils nous ont traité. [...] Il y a, je le sais fort bien, il y aura toujours, fort peu de gens à penser ainsi !"

    "C'est dans une telle conduite que réside le droit [...] partout, faire ce qu'aura ordonné la Cité, la patrie."
    -Platon, Criton.

    "La musique est la plus haute philosophie."

    "[Socrate]: C'est de tout ce que je veux parler, de la grandeur, de la bonne santé, de la force, bref, de la réalité de tout ce qui existe encore, sans exception ; c'est-à-dire ce qu'est justement chacune. Est-ce par le moyen du corps que se contemple ce qu'il y a en elles de plus vrai ? Ou plutôt n'en est-il pas comme ceci ? Celui d'entre nous qui se sera, au plus haut point et le plus exactement, préparé à penser, tout seul en lui-même, chacun des objets qui concerne son examen, n'est pas celui-là qui se sera le plus approché de la connaissance de chacun d'eux ?

    [Simmias]: Hé oui! absolument.

    [Socrate]: Mais celui qui ferait cela de la plus pure façon, ne serait-ce pas celui qui, au plus haut degré possible, userait de la pensée toute seule pour aller à chacun de ces objets ; sans recourir subsidiairement, dans l'exercice de la pensée, ni à la vue, ni à aucune autre sensation, sans en traîner aucune à la remorque du raisonnement ? celui qui, bien plutôt, userait de la pensée, toute seule, par elle-même, sans mélange, pour entreprendre la chasse de chaque réalité, toute seule, par elle-même et sans mélange ? une fois qu'il serait séparé le plus possible de ses yeux, de ses oreilles, et, pour bien dire, de la totalité de son corps, puisque celui est ce qui trouble l'âme et qui l'empêche, chaque fois qu'elle a commerce avec lui, d'acquérir vérité et pensée ? Simmias, n'Est-ce pas celui-là, si personne au monde, qui touchera le réel ?
    "

    "Ceux qui, au sens droit du terme, se mêlent de philosophie, réellement s'exercent à mourir et [...] il n'y a pas d'hommes qui aient, moins qu'eux, peur d'être morts."

    "Ceux qui philosophent au sens droit du terme s'abstiennent de tous les désirs, sans exception, qui se rapportent au corps."

    "[Socrate]: Il n'est pire mal [...] que d'avoir pris en haine les raisonnements."

    "[Socrate]: Tâtonnant comme dans le noir, la plupart des hommes désignent en se servant d'un mot impropre quand ils lui donnent le nom de cause !"

    "[Socrate]: Une expression vicieuse ne détonne pas uniquement par rapport à cela même qu'elle exprime, mais cause encore du mal dans les âmes."
    -Platon, Phédon ou de l'âme.

    "[Socrate à Alcibiade]: Mais si tu veux me prêter attention, en cherchant à deux, peut-être le verrons-nous."

    "Tu vois que, parmi nos concitoyens aussi — et ceci, ce n’est point par ouï-dire que nous le savons, mais pour l’avoir vu de nos propres yeux —, tous ceux qui jusqu’à ce jour ont brigué la charge de stratège et l’ont obtenue sont encore à présent exilés de cette ville ou bien ont perdu la vie. Ceux d’entre eux qu’on croit avoir le mieux réussi, ont passé par une foule de dangers et de frayeurs, non seulement pendant leur commandement, mais encore après leur retour dans leur patrie, où ils n’ont cessé d’être assiégés par les sycophantes aussi violemment que par les ennemis, au point que certains d’entre eux voudraient n’avoir pas commandé plutôt que d’avoir été généraux."

    "SOCRATE

    Mais peut-être, excellent Alcibiade, un homme plus sage que toi et moi dirait que nous avons tort de blâmer ainsi l’ignorance à la légère, sans ajouter que c’est l’ignorance de certaines choses, et que c’est un bien pour certaines personnes dans certaines conditions, comme c’est un mal pour ceux dont nous avons parlé.

    ALCIBIADE

    Comment dis-tu ? Peut-il donc y avoir une chose qu’il soit meilleur d’ignorer que de connaître, quel que soit l’état où l’on se trouve ?

    SOCRATE

    Je le crois pour ma part, et toi, ne le crois-tu pas ?

    ALCIBIADE

    Non certes, par Zeus.

    SOCRATE

    Assurément je ne t’accuserai pas de vouloir faire à ta mère ce qui firent, dit-on, à la leur Oreste et Alcméon et d’autres qui ont commis les mêmes crimes.

    ALCIBIADE

    Au nom de Zeus, parle mieux, Socrate.

    SOCRATE

    Ce n’est pas, Alcibiade, à celui qui déclare que tu ne voudrais pas commettre un pareil acte que tu dois dire de parler mieux ; c’est bien plutôt à celui qui dirait le contraire, puisque l’acte te semble si abominable qu’il ne faut même pas le nommer à la légère. Mais crois-tu qu’Oreste, s’il avait été dans son bon sens et s’il avait su quelle était pour lui la meilleure conduite à tenir, aurait osé rien faire de ce qu’il fit ?

    ALCIBIADE

    Non certes.

    SOCRATE

    Ni personne autre, je pense ?

    ALCIBIADE

    Non, assurément.

    SOCRATE

    C’est donc, à ce qu’il paraît, un mal que l’ignorance du mieux, et il est fâcheux de ne pas connaître le mieux.

    ALCIBIADE

    Il me semble.

    SOCRATE

    Un mal pour Oreste et pour tous les autres ?

    ALCIBIADE

    Oui.

    SOCRATE

    VII. — Maintenant considérons aussi ce cas. Suppose que tu aies tout à coup l’idée, croyant bien faire, d’aller avec un poignard à la porte de Périclès, ton tuteur et ton ami, demander s’il est chez lui, dans l’intention de le tuer, lui, et personne autre, et qu’on te dise qu’il y est — je ne veux pas dire que tu voudrais commettre rien de pareil ; mais enfin je suppose que tu en aies l’idée, car rien n’empêche, n’est-ce pas ? celui qui ignore le bien de se mettre parfois en tête que le pire des maux est le plus grand des biens. Ne le penses-tu pas ?

    ALCIBIADE

    Assurément.

    SOCRATE

    Si donc, ayant pénétré dans sa maison et le voyant, tu ne le reconnaissais pas et pensais que c’est un autre, est-ce que tu oserais encore le tuer ?

    ALCIBIADE

    Non, par Zeus, je ne le crois pas.

    SOCRATE

    Car ce n’était assurément pas le premier venu, mais Périclès lui-même que tu voulais tuer, n’est-ce pas ?

    ALCIBIADE

    Oui.

    SOCRATE

    Et si tu renouvelais plusieurs fois ta tentative et que toujours tu méconnusses Périclès, au moment de commettre l’acte, tu ne l’attaquerais jamais.

    ALCIBIADE

    Non certes.

    SOCRATE

    Eh bien, pour en revenir à Oreste, crois-tu qu’il aurait jamais attaqué sa mère si, lui aussi, ne l’avait pas reconnue ?

    ALCIBIADE

    Je ne le crois pas.

    SOCRATE

    Car lui non plus, n’est-ce pas ? n’avait pas dessein de tuer la première femme venue, ni la mère de n’importe qui, mais sa mère à lui.

    ALCIBIADE

    C’est vrai.

    SOCRATE

    Donc être ignorant en de tels cas est meilleur pour ceux qui sont ainsi disposés et qui ont de telles opinions.

    ALCIBIADE

    Evidemment.

    SOCRATE

    Tu vois donc que l’ignorance de certaines choses est pour certaines personnes, en de certains états, un bien, et non un mal, comme tu le croyais tout à l’heure
    ."

    "Généralement la possession des autres sciences, sans la science de ce qui est bien, risque de n’être que rarement utile et d’être au contraire le plus souvent pernicieuse à ses possesseurs."

    "Toute poésie est naturellement énigmatique et il n’appartient pas au premier venu de la comprendre."

    "Les dieux sont libres, je pense, de donner ce qu’on leur demande et de donner le contraire. [...] Les dieux ne sont pas, j’imagine, gens à se laisser corrompre par des présents, comme un méchant usurier. [...] Il serait étrange en effet que les dieux eussent égard à nos présents et à nos sacrifices, et non à notre âme, pour distinguer ceux qui sont saints et justes."
    -Platon, Second Alcibiade (Sur la Prière).

    "Quand le tout est en mauvais état, il est impossible que la partie se porte bien."

    "[Socrate]: La sagesse ne saurait être le calme, et la vie sage n’est pas la vie calme, du moins d’après notre raisonnement, puisqu’elle doit être belle, si elle est sage. Car entre les deux sortes d’actions, jamais ou presque jamais nous n’avons vu dans la vie que les actions calmes fussent plus belles que les actions rapides et fortes. En admettant même, cher ami, que les actions calmes soient aussi souvent belles que les actions violentes et rapides, la sagesse ne consisterait pas pour cela dans le calme plutôt que dans la force et la vitesse, qu’il s’agisse de marcher, de parler ou de toute autre chose, et la vie calme ne serait pas plus sage que l’autre, puisque nous avons posé en principe au cours de notre discussion que la sagesse fait partie des belles choses et que la rapidité ne nous a pas paru moins belle que la lenteur."

    "[Socrate]: Nous n’avons pas du tout à examiner qui l’a dit, mais si c’est vrai ou non."

    "[Socrate]: Sous le régime de la sagesse, on pourrait s’attendre qu’une maison fût bien administrée, un État bien gouverné, et il en serait de même de toute entreprise où la sagesse présiderait ; car, l’erreur étant supprimée, les hommes suivraient la droite raison et, dans ces conditions, réussiraient nécessairement toutes leurs entreprises, et la réussite leur assurerait le bonheur. N’est-ce pas là, Critias, dis-je, ce que nous disions de la sagesse pour montrer quel avantage il y avait à savoir ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas ?"
    -Platon, Charmide.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Mer 15 Avr - 20:14, édité 2 fois


    _________________
    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Dim 5 Avr - 16:07

    "[Socrate]: Si donc quelqu'un affirme que la justice consiste à rendre à chacun ce qu'on lui doit, et s'il entend par là que l'homme juste doit préjudice à ses ennemis et service à ses amis, il n'est point sage celui qui tient de tels propos. Car il ne dit pas la vérité : en aucun cas en effet et à personne il ne nous est apparu juste de faire du mal."

    "[Thrasymaque]: Quel est, dit-il, ce bavardage, Socrate, et pourquoi faites-vous les sots, vous inclinant tour à tour l'un devant l'autre? Si véritablement tu veux savoir ce qu'est le juste, ne te contente point d'interroger, et ne mets pas ton honneur à réfuter celui qui répond, mais, ayant reconnu qu'il est plus facile d'interroger que de répondre, réponds toi-même et dis comment tu définis la justice."

    "[Thrasymaque]: J'affirme que le juste n'est autre chose que l'avantageux au plus fort. [...] L'élément le plus fort, dans chaque cité, est le gouvernement. [...] Et chaque gouvernement établit les lois pour son propre avantage : la démocratie des lois démocratiques, la tyrannie des lois tyranniques et les autres de même ; ces lois établies, ils déclarent juste, pour les gouvernés, leur propre avantage, et punissent celui qui le transgresse comme violateur de la loi et coupable d'injustice. Voici donc, homme excellent, ce que j'affirme : dans toutes les cités le juste est une même chose : l'avantageux au gouvernement constitué; or celui-ci est le plus fort, d'où il suit, pour tout homme qui raisonne bien, que partout le juste est une même chose : l'avantageux au plus fort."

    "[Thrasymaque]: L'homme juste est partout inférieur à l'injuste. D'abord dans le commerce, quand ils s'associent l'un à l'autre, tu ne trouveras jamais, à la dissolution de la société, que le juste ait gagné, mais qu'il a perdu ; ensuite, dans les affaires publiques, quand il faut payer des contributions, le juste verse plus que ses égaux, l'injuste moins; quand, au contraire, il s'agit de recevoir, l'un ne (343e) touche rien, l'autre beaucoup. Et lorsque l'un et l'autre occupent quelque charge, il advient au juste, si même il n'a pas d'autre dommage, de laisser par négligence péricliter ses affaires domestiques, et de ne tirer de la chose publique aucun profit, à cause de sa justice. En outre, il encourt la haine de ses parents et de ses connaissances, en refusant de les servir au détriment de la justice; pour l'injuste, c'est tout le contraire. Car j'entends par là celui dont je parlais tout à l'heure, celui qui est capable de l'emporter hautement sur les autres; examine-le donc si tu veux discerner combien, dans le particulier, l'injustice est plus avantageuse que la justice."

    "[Socrate]: Penses-tu que ce soit une petite entreprise de définir la règle de vie que chacun de nous (344e) doit suivre pour vivre de la façon la plus profitable ?"

    "[Socrate]: je ne suis pas convaincu, et je ne crois pas que l'injustice soit plus profitable que la justice, même si l'on a liberté de la commettre et si l'on n'est pas empêché de faire ce que l'on veut. Qu'un homme, mon bon, soit injuste et qu'il ait pouvoir de pratiquer l'injustice par fraude ou à force ouverte : je ne suis point pour cela persuadé qu'il en tire plus de profit que de la justice."

    "[Socrate]: Le plus grand châtiment consiste à être gouverné par un plus méchant que soi, quand on ne veut pas gouverner soi-même."

    "[Socrate]: L'injustice fait naître entre les hommes des dissensions, des haines et des luttes, tandis que la justice entretient la concorde et l'amitié."
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre I. Traduction Émile Chambry.

    "Il nous faut examiner si la vie du juste est meilleure et plus heureuse que celle de l'injuste. [...]
    La discussion ne porte pas ici sur une bagatelle, mais sur la manière dont il faut régler notre vie.
    " (p.101)
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre I. Traduction Robert Baccou, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, 510 pages.

    "[Glaucon]: Que ceux qui pratiquent la justice la pratiquent de mauvais gré, par incapacité à commettre l’injustice, nous pourrions le percevoir le mieux si par la pensée nous réalisions ce qui suit : nous donnerions à chacun des deux, à l’homme juste comme à l’injuste, licence de faire tout ce qu’il peut vouloir, puis nous les suivrions, pour observer où son désir poussera chacun d’eux. Et alors nous pourrions prendre l’homme juste sur le fait, en train d’aller dans la même direction que l’homme injuste, poussé par son envie d’avoir plus que les autres : c’est là ce que chaque nature est née pour poursuivre comme un bien, alors que par la loi elle est menée, de force, à estimer ce qui est égal. La licence dont je parle serait réalisée au plus haut point, si ces deux hommes recevaient un pouvoir tel que celui que, dit-on, reçut jadis l’ancêtre de Gygès le Lydien. On dit en effet qu’il était berger, aux gages de celui qui alors dirigeait la Lydie ; et qu’après qu’une forte pluie se fut abattue, causant un glissement de terrain, un endroit de la terre se déchira et que s’ouvrit une béance dans le lieu où il faisait paître. La voyant, il s’émerveilla, et y descendit ; et il y aurait vu, parmi d’autres merveilles que rapporte l’histoire, un cheval de bronze évidé, percé d’ouvertures. S’y penchant, il aurait vu que s’y trouvait un cadavre, apparemment plus grand que n’aurait été un homme, et qui ne portait rien, si ce n’est, à la main, une bague en or. Il s’en serait emparé, et serait ressorti. Or, comme avait lieu le rassemblement habituel aux bergers, destiné à rapporter chaque mois au roi l’état des troupeaux, lui aussi y serait venu, portant la bague en question. S’étant assis avec les autres, il aurait tourné par hasard le chaton de la bague vers lui-même, vers l’intérieur de sa main, et dès lors serait devenu invisible pour ceux qui siégeaient à côté de lui, et qui dialoguaient à son sujet comme s’il avait été parti. Il s’en serait émerveillé, et manipulant la bague en sens inverse, aurait tourné le chaton vers l’extérieur, et une fois le chaton tourné, il serait redevenu visible. Ayant compris cela, il aurait mis la bague à l’épreuve pour voir si elle avait réellement ce pouvoir, et la même chose lui serait arrivée : en tournant le chaton vers l’intérieur il devenait invisible, vers l’extérieur, visible. Dès qu’il s’en serait aperçu, il aurait fait en sorte d’être parmi les messagers qui allaient auprès du roi, et une fois là-bas, ayant commis l’adultère avec la femme du roi, aurait comploté avec elle pour tuer le roi et ainsi s’emparer du pouvoir. Eh bien donc, s’il existait deux bagues de ce genre, et que l’homme juste en enfile l’une, l’homme injuste l’autre, il n’y aurait personne, semblerait-il, qui aurait un caractère d’acier assez indomptable pour persister dans la justice, avoir le cœur de s’abstenir de ce qui est à autrui, et de ne pas y toucher ; c’est qu’il lui serait possible de prendre ce qu’il voudrait, sans crainte, y compris sur la place publique, de pénétrer dans les maisons pour s’unir à qui il voudrait, de tuer ou de délivrer de leurs liens ceux qu’il voudrait, et d’agir à l’avenant parmi les hommes, étant l’égal d’un dieu. Celui qui en profiterait ne ferait rien de différent de l’homme injuste : l’un et l’autre iraient dans la même direction. À coup sûr on pourrait affirmer avoir là une preuve éclatante que personne n’est juste de son plein gré, mais parce qu’il y est contraint, persuadé que cela n’est pas un bien pour soi personnellement ; puisque chaque fois que quelqu’un croit qu’il sera en mesure de commettre une injustice, il la commet. C’est que chaque homme croit que l’injustice lui rapporte personnellement beaucoup plus que la justice, et ce qu’il croit là est vrai, affirmera celui qui parle en ce sens. Car si quelqu’un, qui s’avisait d’une telle possibilité, ne consentait à commettre aucune injustice et ne touchait à rien de ce qui est à autrui, il passerait, aux yeux de ceux qui s’en rendraient compte, pour l’homme le plus à plaindre et le plus dépourvu d’intelligence ; ils feraient néanmoins son éloge les uns devant les autres, pour se tromper mutuellement, par peur de subir l’injustice."

    "[Adimante]: Devant la vertu, les dieux ont placé la sueur...et [...] c’est une route longue, difficile, et adverse."

    "[Socrate]: Une cité, je crois, vient à être pour autant que chacun de nous se trouve non pas auto-suffisant, mais porteur de beaucoup de besoins."

    "[Socrate]: Dans un échange, qu’on donne à quelqu’un d’autre, quand on le fait, ou qu’on reçoive, c’est parce qu’on croit que ce sera meilleur pour soi-même."

    "[Socrate]: Chaque genre de choses est produit en plus grand nombre, en meilleure qualité, et plus facilement, lorsque c’est un seul homme qui fait une seule chose, conformément à sa nature, et au bon moment, en se mettant en congé des autres choses."

    "[Socrate]: Nous aurons donc besoin aussi de marchands."

    "[Socrate]: Il nous naîtra de cela une agora et une monnaie reconnue, comme symbole de l’échange."

    "[Socrate]: Ne t’es-tu pas rendu compte à quel point le cœur est chose impossible à combattre et à vaincre [...] ?"

    "[Socrate]: Des discours l’espèce se divise en deux : l’une des vrais, et l’autre des faux [...] Et il faut éduquer avec les deux espèces, mais d’abord avec les discours faux."
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre II. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: Les choses qui sont les meilleures ne sont-elles pas celles qui sont le moins modifiées et mises en mouvement par autre chose qu’elles-mêmes ?"

    "[Socrate]: Tout homme se pardonnera d’être méchant, s’il est persuadé que c’est bien là ce que font et faisaient aussi ceux qui sont proches de la semence des dieux, ceux qui sont proches de Zeus, qui ont sur la colline de l’Ida un autel de Zeus paternel, dans l’éther et en qui le sang des êtres divins n’est pas encore éteint C’est pourquoi il faut mettre un terme à ce genre d’histoires, pour qu’elles ne fassent pas naître chez nos jeunes une grande propension à la méchanceté."

    "[Socrate]: Est-ce donc les poètes seulement que nous devons contrôler, et eux seulement que nous devons contraindre à créer dans leurs poèmes l’image de la bonne façon d’être, sous peine de renoncer à être poètes chez nous ? Ne devons-nous pas contrôler aussi les autres artisans, et les empêcher d’introduire cette façon d’être mauvaise, déréglée, dépourvue du sens de la liberté et privée de grâce, dans les images des animaux, dans les constructions, et dans tout autre objet fabriqué par l’art ?"

    " [Socrate]: peux-tu désigner un plaisir plus grand et plus aigu que celui d’Aphrodite ?"

    "[Socrate]: pourras-tu trouver une plus grande preuve de la pauvreté et de la faiblesse de l’éducation qui a cours dans une cité, que le besoin de médecins et de juges éminents, non seulement chez les gens quelconques et les travailleurs manuels, mais aussi chez ceux qui se targuent d’avoir été élevés dans un esprit de liberté ?"

    "[Socrate]: Si l’on veut qu’ils soient tels qu’on a dit, qu’ils vivent et qu’ils habitent à peu près de la manière suivante : que d’abord aucun d’eux ne possède aucun bien en privé, si ce n’est le strict nécessaire ; qu’ensuite aucun n’ait d’habitation ni de cellier ainsi disposé que tout le monde ne puisse y entrer à son gré ; quant à ce qui est nécessaire aux besoins d’hommes qui s’exercent à la guerre, à la fois tempérants et virils, qu’ils le déterminent  pour le recevoir des autres citoyens en salaire de la garde qu’ils exercent, en quantité telle qu’ils n’aient à la fin de l’année ni excès ni déficit. Que, fréquentant les tables collectives, comme s’ils étaient en campagne, ils vivent en commun. Et pour l’or et l’argent, qu’on leur dise qu’ils ont, dans leur âme, pour toujours, de l’or et de l’argent divins, fournis par les dieux, et qu’ils n’ont pas besoin de surcroît d’avoir or et argent humains ; et qu’il n’est pas conforme à la piété de souiller la possession du premier en la mêlant à la possession d’or mortel, parce que beaucoup d’actes impies ont eu pour cause la monnaie utilisée par la masse, tandis que l’or qui leur est confié est sans mélange. Qu’à eux seuls, parmi ceux qui sont dans la cité, il est interdit de manier et de toucher or ou argent, de se trouver sous le même toit que ces métaux, de s’en orner, ou de boire dans un vase d’or ou d’argent. C’est ainsi qu’ils pourront se préserver et préserver la cité. Au contraire, dès lors qu’eux-mêmes auront acquis un terrain privé, des maisons, et des monnaies en usage, ils seront administrateurs de maisons et cultivateurs, au lieu d’être des gardiens, et ils deviendront les maîtres hostiles, et non plus les alliés, des autres citoyens ; c’est alors en haïssant et se faisant haïr, en tramant des plans contre les autres, qui en trameront contre eux, qu’ils passeront toute leur vie, craignant bien plus et plus souvent l’hostilité des gens de l’intérieur que celle des gens de l’extérieur. Ils courront dès lors quasiment au désastre, eux et tout le reste de la cité, Cela étant, et pour toutes ces raisons, dis-je, devons-nous affirmer que c’est de la façon que nous avons dite que les gardiens doivent être établis, en ce qui concerne le logement et les autres dispositions, et ferons-nous de cela une loi, ou non ?

    -Faisons-le, certainement, dit Glaucon.
    "
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre III. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: Nous établissons la cité non pas en cherchant à obtenir qu’un groupe isolé soit chez nous exceptionnellement heureux, mais que soit heureuse, le plus qu’il est possible, la cité tout entière."

    "[Socrate]: Chaque fois que naîtrait chez les gardiens un rejeton de qualité médiocre, le renvoyer chez les autres habitants ; et chaque fois que chez les autres naîtrait un rejeton de valeur non négligeable, le renvoyer chez les gardiens."

    "[Socrate]: Ceux à qui revient de se soucier de la cité doivent s’attacher à ce que l’éducation ne perde pas sa qualité sans qu’ils s’en aperçoivent ; ils doivent prendre garde, envers et contre tout, que l’on n’innove pas en gymnastique et en musique en dehors de ce qui a été établi, mais qu’on les garde intactes le plus qu’il est possible."

    "[Socrate]: Mais que dire, au nom des dieux, dis-je, de ces affaires qu’on traite sur l’agora, des conventions que, sur l’agora, en matière de contrats, les uns et les autres concluent entre eux ? et, si tu veux, des contrats concernant les travailleurs manuels, des insultes et des agressions, du dépôt des plaintes, de la désignation de juges, et de ce qui se passe au cas où il est nécessaire, pour les taxes, de les percevoir ou de les instituer sur les marchés ou sur les ports, ou bien encore plus généralement de tout ce qui concerne la réglementation des marchés, celle des villes, ou celle des ports, et tous les détails de ce genre ? Aurons-nous l’audace, en ces matières, d’édicter des lois ?

    [Adimante]: Non, dit-il, il ne vaut pas la peine de donner à des hommes de bien des instructions ; la plupart des détails qu’il faudrait fixer par la loi, ils les découvriront facilement d’une façon ou d’une autre
    ."

    "[Socrate]: C’est donc par le groupe social le plus petit, par la plus petite partie d’elle-même, et par la connaissance qui s’y trouve, c’est par l’élément qui est au premier rang et qui dirige, que serait tout entière sage la cité fondée selon la nature ; et apparemment la nature fait naître très peu nombreuse la race à laquelle il revient de recevoir en partage cette connaissance que seule parmi les autres connaissances on doit appeler sagesse. [...] Les désirs simples et mesurés, ceux qui se laissent conduire par le raisonnement accompagné d’intelligence et de l’opinion correcte, tu les rencontreras chez le petit nombre, chez ceux dont la nature est la meilleure, et qui en plus ont été le mieux éduqués. "

    "[Socrate]: Il y a là deux éléments, et différents l’un de l’autre ; le premier, par laquelle elle raisonne, nous le nommerons l’élément raisonnable de l’âme, et le second, par laquelle elle aime, a faim, a soif, et se laisse agiter par les autres désirs, nous le nommerons l’élément dépourvu de raison et désirant, le compagnon de certaines satisfactions et de certains plaisirs [...] C’est à l’élément raisonnable qu’il revient de diriger, lui qui est sage et qui possède la capacité de prévoir pour l’ensemble de l’âme, et à l’élément de l’espèce du cœur qu’il revient de se soumettre et de s’allier au précédent."
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre IV. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: La nature de la femme et celle de l’homme sont différentes."

    "[Socrate]: Il faut alors bien que les femmes des gardiens se dévêtent, puisqu’elles s’envelopperont d’excellence en guise de manteaux ; il leur faut s’associer à la guerre et à l’ensemble de la garde de la cité, et elles ne doivent se soucier de rien d’autre. Mais de cela il faut attribuer aux femmes une part plus légère qu’aux hommes, à cause de la faiblesse de leur sexe. [...] Que ces femmes soient toutes communes à tous ces hommes, et qu’aucune ne vive en privé avec aucun; que les enfants eux aussi soient communs, et qu’un parent ne connaisse pas son propre rejeton, ni un enfant son parent. [...] Ils auront en commun logements et repas collectifs, et qu’aucun d’entre eux ne possédera personnellement rien de tel, ils seront forcément ensemble; et comme c’est ensemble qu’ils se mêleront aussi bien au gymnase que dans l’ensemble de leur éducation, sous l’effet d’une nécessité qui est, je crois, innée, ils seront poussés à s’unir les uns aux autres.."

    "[Socrate]: Quant à décider de la quantité des mariages, nous en ferons une prérogative des dirigeants, de façon qu’ils préservent le plus possible le même nombre de guerriers, en prenant en compte les guerres, les maladies, et tous les facteurs de ce genre, et que notre cité, autant que possible, ne grandisse ni ne diminue."

    "[Socrate]: Connaissons-nous un plus grand mal, pour une cité, que ce qui la scinde, et en fait plusieurs au lieu d’une seule ? Ou de plus grand bien que ce qui la lie ensemble et la rend une ?"

    "[Socrate]: Nous avons comparé une cité bien administrée à un corps."

    "[Socrate]: Ils [les gardiens] seront exempts de dissension interne, de toutes ces dissensions en tout cas qui e entraînent les hommes à cause de la possession de richesses, ou d’enfants et de parents."

    "[Socrate]:  Si l’on n’arrive pas [...] ou bien à ce que les philosophes règnent dans les cités, ou bien à ce que ceux qui à présent sont nommés rois et hommes puissants philosophent de manière authentique et satisfaisante, et que coïncident l’un avec l’autre pouvoir politique et philosophie ; et à ce que les nombreuses natures de ceux qui à présent se dirigent séparément vers l’une ou l’autre carrière en soient empêchées par la contrainte, il n’y aura pas, mon ami Glaucon, de cesse aux maux des cités, ni non plus, il me semble, du genre humain ; et le régime politique qu’à présent nous avons décrit dans le dialogue ne pourra non plus jamais naître avant cela, dans la mesure où il est réalisable, ni voir la lumière du soleil."

    "[Socrate]: Celui qui consent volontiers à goûter à tout savoir, qui se porte gaiement vers l’étude, et qui est insatiable, celui-là nous proclamerons qu’il est légitimement philosophe."
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre V. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: Il est aussi très nécessaire que celui qui par nature est disposé amoureusement envers un objet d’amour, chérisse tout ce qui est parent, et proche, de ses amours."

    "[Socrate]: Un naturel lâche et dépourvu du sens de la liberté ne saurait apparemment pas avoir de part à la philosophie véritable."

    "[Socrate]: Ce n’est pas au dirigeant à demander aux dirigés de se faire diriger par lui, dans le domaine où il pourrait véritablement leur être de quelque utilité."

    "[Socrate]: Il est impossible que la masse soit philosophe. [...] Il est inévitable que ceux qui philosophent soient désapprouvés par la masse."

    "[Socrate]: La valeur de la philosophie — qui est pourtant en si mauvais état — reste assez prestigieuse."

    "[Socrate]: Ceux qui ne méritent pas de recevoir une éducation, lorsqu’ils s’approchent de la philosophie et la fréquentent, sans en être dignes, quel genre de pensées et d’opinions allons-nous dire qu’ils vont engendrer ? n’est-ce pas ce qu’il convient de tenir véritablement pour des sophismes, rien qui soit légitime et qui touche à une réflexion véritable ?"
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre VI. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: Il faut que ce ne soient pas des amoureux de l’exercice du pouvoir qui s’y portent."

    "[Socrate]: Moi, de mon côté, je ne peux considérer comme propre à tourner le regard de l’âme vers le haut d’autre étude que celle qui concerne ce qui est réellement, l’invisible ; et si quelqu’un, regardant bouche bée vers le haut ou bouche close vers le bas, entreprenait d’étudier l’un des objets sensibles, j’affirme qu’il ne pourrait jamais rien apprendre car aucune des choses de cet ordre ne comporte de savoir et que son âme ne regarderait pas vers le haut, mais vers le bas."

    "[Socrate]: Chaque fois que quelqu’un, au moyen du dialogue, entreprend sans l’aide d’aucun des sens, de tendre par l’intermédiaire de l’argumentation vers cela même que chaque chose est, et qu’il ne s’arrête pas avant d’avoir saisi par la seule intelligence ce que le bien est en lui-même, il parvient au terme même de l’intelligible, comme le premier, tout à l’heure, à celui du visible.

    [Glaucon]: Oui, exactement, dit-il.

    [Socrate]: Or dis-moi : n’appelles-tu pas "dialectique" une telle démarche ?

    [Glaucon]: Si, bien sûr
    ."

    "[Socrate]: Nous avons affirmé qu’il fallait mener les enfants même à la guerre, sur des chevaux, pour qu’ils en aient le spectacle, et que si c’était à peu près sans risque, il fallait en outre les amener à proximité du combat et leur faire goûter le sang, comme aux chiots."

    "[Socrate]: Fatigue et sommeil, en effet, sont ennemis des études."

    "[Glaucon]: Ils sont très beaux, Socrate, dit-il, les dirigeants que, comme un sculpteur de statues, tu as fabriqués là.

    [Socrate]: Et les dirigeantes aussi, Glaucon, dis-je. Car ne crois nullement que ce que j’ai dit concerne plus les hommes que les femmes, celles des femmes du moins qui naissent avec des natures satisfaisantes
    ."

    "[Socrate]: Ce serait un ouvrage d’une longueur démesurée que de décrire d’une part tous les régimes, de l’autre tous les caractères, sans rien laisser de côté."
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre VII. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: Une telle cité [oligarchique] est nécessairement non pas une, mais deux : d’un côté celle des pauvres, de l’autre celle des riches, habitant le même lieu sans cesser de comploter les uns contre les autres."

    "[Socrate]: La démocratie, je crois, naît lorsque après leur victoire, les pauvres mettent à mort un certain nombre des autres habitants, en expulsent d’autres, et font participer ceux qui restent, à égalité, au régime politique et aux charges de direction, et quand, dans la plupart des cas, c’est par le tirage au sort qu’y sont dévolues les charges de direction."

    "[Socrate]: Ce régime [la démocratie] a des chances d’être le plus beau des régimes politiques."

    "[Socrate]: De quelle façon naît la tyrannie, mon cher camarade ? En effet, qu’elle naisse d’une transformation de la démocratie, cela est presque évident."

    "[Socrate]: Exagérer dans un sens a tendance à provoquer un grand changement en sens inverse."

    "[Socrate]: Un tyran est dans la constante nécessité de provoquer la guerre."
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre VIII. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: Il y a une espèce de désirs terrible, sauvage, et hors-la-loi en chacun, même chez le petit nombre d’entre nous qui donnent l’impression de se dominer tout à fait."

    "[Socrate]: Un homme devient tyrannique au sens strict lorsque soit par nature, soit par ses occupations, soit par les deux, il est devenu adepte de l’ivresse, d’Eros, et de la bile noire."

    "[Socrate]:  Tout au long de leur vie, ils vivent sans être jamais chers à personne, mais en étant toujours les maîtres ou les esclaves de quelqu’un d’autre ; la nature tyrannique reste toujours privée de goûter à la liberté et à l’amitié véritables."

    "[Glaucon]: Il est visible à quiconque qu’il n’y a pas de cité plus malheureuse qu’une cité gouvernée de façon tyrannique, et pas de cité plus heureuse qu’une cité gouvernée de façon royale."

    "[Socrate]: Même si quelqu’un est d’un autre avis, en vérité celui qui est réellement tyran est réellement esclave, il vit dans un comble de flagornerie et d’esclavage, et il est le flatteur des gens les plus méchants ; il ne satisfait aucunement ses désirs, mais il apparaîtrait comme absolument démuni de la plupart des choses, et comme véritablement pauvre, si l’on savait considérer son âme tout entière ; il déborde de peur tout au long de sa vie, et il est plein de soubresauts et de souffrances, si en effet il ressemble à la disposition de la cité qu’il dirige."

    "[Socrate]: Dans le genre humain, les trois espèces principales sont l’ami de la sagesse ou philosophe, l’ambitieux ou ami de la victoire, et l’ami du profit."

    "[Socrate]: Par quoi doit être jugé ce qu’on veut faire bien juger ? N’est-ce pas par l’expérience, par la réflexion, et par la raison ?"

    "[Socrate]: Tu t’aperçois que les hommes, quand ils se trouvent dans la souffrance, font l’éloge de l’absence de souffrance et du repos qu’elle donne, disant que c’est là ce qu’il y a de plus agréable — et non la jouissance."

    "[Socrate]: Ne nous laissons donc pas persuader c que le plaisir pur soit une cessation de la souffrance, ni la souffrance une cessation du plaisir."

    "[Glaucon]: Tu as fourni là, dit-il, un incroyable calcul de la différence entre ces deux hommes, l’homme juste et l’injuste, par rapport au plaisir et à la douleur."

    "[Socrate]: De quelque façon qu’on le tourne, celui qui fait l’éloge de ce qui est juste dirait vrai, et celui qui fait l’éloge de l’injuste dirait faux. En effet, qu’on examine les choses par rapport au plaisir, par rapport à la bonne réputation, ou à l’utilité, celui qui fait l’éloge de ce qui est juste dit vrai, celui qui le blâme ne dit rien de valide, et blâme sans connaître ce qu’il blâme."

    "[Socrate]: Elle est peut-être [la cité platonicienne] située là-haut dans le ciel, comme un modèle pour qui veut la regarder et, en la regardant, se gouverner lui-même. Et il n’importe d’ailleurs en rien qu’elle existe ou doive exister quelque part."
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre IX. Traduction Émile Chambry.

    "[Socrate]: Cependant une certaine affection, et un certain respect, que depuis mon enfance j’ai pour Homère, m’empêchent de parler. Car c’est bien lui, semble-t-il, qui a été le premier maître, et le conducteur, de tous ces beaux poètes tragiques. Eh bien non, il ne faut pas faire passer le respect pour un homme avant celui qui est dû à la vérité."

    "[Socrate]: Crois-tu, Glaucon, que si Homère avait été réellement à même d’éduquer les hommes et de les rendre meilleurs, parce qu’il aurait été capable sur ces sujets non pas d’imiter, mais de connaître, il ne se serait pas fait de nombreux compagnons, qui l’auraient tenu en estime et en affection ? [...] Tous les spécialistes de poésie, à commencer par Homère, sont des créateurs de fantômes de l’excellence, comme de fantômes des autres thèmes de leurs compositions, mais [...] ils ne touchent pas à la vérité."

    "[Socrate]: C’est en toute justice que nous pourrions refuser de l’accueillir [le poète] dans une cité qui doit être gouvernée par de bonnes lois, puisqu’il éveille cet élément de l’âme [l'irritation], le nourrit et, le rendant robuste, détruit l’élément consacré à la raison ; comme lorsque dans une cité, en donnant du pouvoir aux méchants, on leur livre la cité, et qu’on mène à leur perte les hommes plus appréciables. Nous affirmerons de la même façon que le poète spécialiste de l’imitation fait entrer lui aussi un mauvais régime politique dans l’âme individuelle de chacun : il est complaisant avec ce qu’il y a de déraisonnable en elle, qui ne reconnaît ni ce qui est plus grand ni ce qui est plus petit, mais pense les mêmes choses tantôt comme grandes, tantôt comme petites ; et il fabrique fantomatiquement des fantômes, qui sont tout à fait éloignés de ce qui est vrai."

    "[Socrate]: Et à l’égard des plaisirs d’Aphrodite, de l’esprit combatif, et de toutes les choses dans l’âme qui touchent au désir, au chagrin, et au plaisir, choses dont nous affirmons qu’elles sont pour nous liées à chacune de nos actions, n’est-ce pas le même argument qui vaut, à savoir que l’imitation poétique a sur nous le même genre d’effets ? Elle nourrit ces affections en les irriguant, quand il faudrait les assécher, et en fait nos dirigeants, alors qu’il faudrait que ce soit elles qui soient dirigées, pour que nous devenions meilleurs et plus heureux, au lieu de devenir pires et plus malheureux."

    "[Socrate]: Proclamons cependant que de notre côté en tout cas, si l’art de la poésie orientée vers le plaisir, si l’imitation, avait quelque argument à avancer, pour prouver qu’il faut qu’elle existe dans une cité dirigée par de bonnes lois, nous aurions plaisir à l’accueillir, car nous sommes conscients d’être nous-mêmes sous son charme. Cependant, ce qui vous semble vrai, il est impie de le trahir."

    "[Socrate]: Jamais n’est négligé par les dieux l’homme qui veut avoir à cœur de devenir juste."

    "[Socrate]: Ce que je vais te raconter n’est pas un "récit chez Alcinoos", mais le récit d’un homme vaillant, Er, fils d’Arménios, dont la race venait de Pamphylie. Il lui advint de mourir à la guerre. Lorsqu’au dixième jour on vint relever les cadavres, qui étaient déjà putréfiés, on le trouva en bon état, et quand on l’eut amené chez lui, dans l’intention de l’ensevelir, le douzième jour, alors qu’il était étendu sur le bûcher, il revint à la vie ; et une fois revenu à la vie, il raconta ce qu’il avait vu là-bas."

    "[Socrate]: C’est ainsi, Glaucon, que l’histoire a été préservée et n’a pas péri, et qu’elle peut nous préserver nous-mêmes, si nous sommes capables d’y ajouter foi ; alors nous franchirons avec succès le fleuve de l’Oubli, et ne souillerons pas notre âme. Eh bien, si nous sommes capables d’ajouter foi à ce que je dis, nous devons considérer que l’âme est chose immortelle, et qu’elle est capable de supporter tous les maux ainsi que tous les biens. Nous nous tiendrons alors constamment à la route qui mène vers le haut, et nous pratiquerons la justice, liée à la prudence, de toutes les façons possibles. Ainsi nous pourrons être amis aussi bien avec nous-mêmes qu’avec les dieux, aussi bien lors de notre séjour ici que lorsque nous aurons remporté les prix que rapporte la justice, comme des vainqueurs faisant un tour de piste triomphal; et nous pourrons tant ici, que dans le cheminement millénaire que nous avons décrit, connaître un plein succès !"
    -Platon, La République ou De la Justice, Livre X. Traduction Émile Chambry.

    « Pour ce qui est des désirs, des plaisirs et des peines qui sont simples et mesurés, ceux qui bien sûr sont dirigés par un raisonnement soutenu par l’intellect et l’opinion droite, tu les rencontreras chez le petit nombre, chez ceux qui sont doués d’un naturel excellent et qui ont pu recevoir la meilleure éducation. » (p.234)

    « Si [l’âme] se trouve dans un état de soif et que quelque chose l’entraîne dans une autre direction, c’est qu’il existe en elle autre chose que cet être assoiffée et se démenant comme une bête pour parvenir à boire : car il n’est pas possible, nous l’avons reconnu, que la même chose puisse, par la même partie d’elle-même et au égard au même objet, produire des effets contraires. […]
    -Ne devons-nous pas reconnaître qu’il y a parfois des personnes qui ont soif et qui ne veulent pas boire ?
    -Bien sûr, dit-il, on en trouve plusieurs et souvent.
    -Alors, dis-je, comment faudrait-il présenter leur état, si ce n’est pas en affirmant qu’il se trouve dans leur âme quelque chose qui leur commande de boire, et une autre qui les en empêche ? Cette dernière n’est-elle pas différente de la première, ne l’emporte-t-elle pas sur la chose qui commande ?
    -Si, dit-il, c’est bien mon avis.
    -N’est-ce donc pas que le principe qui empêche de telles actions, lorsqu’il intervient, est le résultat du raisonnement, alors que ce qui s’agite et pousse vers l’action se produit par l’entremise des passions et des troubles maladifs ?
    -Il semble bien.
    -Nous n’aurions donc pas tort, repris-je, de soutenir qu’il s’agit de deux principes, et qu’ils diffèrent l’un de l’autre : l’un, celui par lequel l’âme raisonne, nous le nommerons le principe rationnel de l’âme ; l’autre, celui par lequel elle aime, a faim, a soif et qui l’excite de tous les désirs, celui-là, nous le nommerons le principe dépourvu de raison et désirant, lui qui accompagne un ensemble de satisfactions et de plaisirs
    . » (p.248)
    -Platon, La République, Livre IV. Traduction Georges Leroux, Paris, GF Flammarion, 2004 (2002 pour la première édition), 801 pages.

    « Quant à ceux qui recherchent les honneurs, à mon avis, tu peux observer que s’ils ne parviennent pas à devenir stratèges, ils deviennent les chefs d’un tiers de tribu, et que lorsqu’ils n’arrivent pas à se faire honorer par des gens importants et respectables, ils se contentent d’être honorés par des gens de moindre importance et plus ordinaires, puisqu’ils se montrent avides de l’honneur en général.
    -Oui, parfaitement.
    -Faut-il dès lors affirmer ou nier le point suivant ? Celui que nous disons possédé du désir de quelque chose, affirmerons-nous qu’il désire toute l’espèce de cette chose, ou qu’il désire tel élément et non tel autre ?
    -Toute l’espèce.
    -Par conséquent, le philosophe lui aussi, nous dirons qu’il est possédé du désir de la sagesse, non pas de tel ou tel élément, mais de la sagesse toute entière ?
    -C’est vrai
    . » (p.303)
    -Platon, La République, Livre V. Traduction Georges Leroux, Paris, GF Flammarion, 2004 (2002 pour la première édition), 801 pages.

    « [Les désirs] que nous ne serions pas en mesure de repousser, il conviendrait de les appeler nécessaires, et de même tous ceux qu’il est utile de satisfaire ? Car c’est pour nous une nécessité naturelle que d’éprouver ces deux types de désirs, n’est-ce-pas ?
    -Oui, certainement.
    -C’est donc à juste titre que nous les désignons de ce nom, « nécessaires » ?
    -A juste titre, oui.
    -Eh bien, pour ceux dont on peut débarrasser, si on s’y applique quand on est jeune, ceux-là dont l’expérience ne produit aucun bien et entraîne même le contraire, à tous ceux-là donnons le nom de désirs non nécessaires
    . » (p.426)
    -Platon, La République, Livre VIII. Traduction Georges Leroux, Paris, GF Flammarion, 2004 (2002 pour la première édition), 801 pages.

    « Parmi les plaisirs et les désirs qui ne sont pas nécessaires, certains me semblent déréglés. Ils surgiront probablement en chacun, mais s’ils sont réprimés par les lois et par les désirs meilleurs, en accord avec la raison, ils pourront être entièrement éliminés chez certains hommes, ou demeurer affaiblis et réduits, tandis que chez les autres, ils seront plus forts et plus nombreux.
    -Mais de quels désirs et de quels plaisirs parles-tu ? demanda-t-il.
    -De ceux qui s’éveillent durant le sommeil, répondis-je, chaque fois que l’autre partie de l’âme –la partie qui est rationnelle, sereine et faite pour diriger- est endormie et que la partie bestiale et sauvage, repue d’aliments et de boissons, s’agite et repoussant le sommeil cherche à se frayer un chemin et à assouvir ses penchants habituels. Tu sais que dans cet état elle a l’audace de tout entreprendre, comme si elle était déliée et libérée de toute pudeur et de toute sagesse rationnelle. Elle n’hésite aucunement à faire le projet, selon ce qu’elle se représente, de s’unir à sa mère, ou à n’importe qui d’autre, homme, dieu, animal ; elle se souille de n’importe quelle ignominie, elle ne renonce à aucune nourriture, et pour le dire en un mot, elle ne recule devant aucune folie ni aucune infamie.
    -C’est tout à fait vrai, dit-il.
    -Mais selon moi, lorsqu’un homme adopte pour lui-même un comportement sain et modéré et qu’il ne s’abandonne au sommeil qu’après avoir mis la partie rationnelle de son âme en éveil et l’avoir nourrie de beaux discours et de belles réflexions, en se livrant pour lui-même à l’exercice spirituel intérieur, sans avoir toutefois soumis la partie désirante ni à la privation ni à l’excès, de sorte qu’elle trouve le repos et ne cause à la partie supérieure aucun trouble par sa jouissance et sa souffrance ; lorsqu’il laisse cette partie supérieure seule, pure, et par elle-même faire son examen et se porter vers la saisie de ce qu’elle ne connaît pas, qu’il s’agisse de quelque chose des faits passés, ou alors des êtres présents, ou encore de ce qui doit advenir ; lorsque de cette manière il a adouci l’élément d’ardeur <de son âme> et qu’il s’endort sans s’être mis en colère contre personne et d’un cœur serein ; lorsqu’il a apaisé ces deux parties de l’âme et qu’il a mis en mouvement la troisième, celle où réside la pensée, et que dans cet état il s’abandonne au repos, c’est alors, tu le sais, que cet homme atteint le mieux la vérité, et c’est alors que les visions des songes qui envahissent l’imagination sont le moins déréglées
    . » (p.445-446)

    « Il existe en chacun de nous une espèce de désirs qui est terrible, sauvage et sans égards pour les lois. On la trouve même chez le petit nombre de ceux qui sont selon toute apparence mesurés, et c’est cela justement qui devient manifeste à travers les songes. » (p.447)
    -Platon, La République, Livre VIII. Traduction Georges Leroux, Paris, GF Flammarion, 2004 (2002 pour la première édition), 801 pages.


    Dernière édition par Johnathan R. Razorback le Jeu 17 Aoû - 22:45, édité 2 fois


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    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 14 Sep - 21:32

    "Alcibiade était le symbole de l'échec de la démarche pédagogique de Socrate, qui avait cherché à réformer la cité en formant de nouveaux dirigeants." (p.34)

    "Ces dix éloges d'Éros peuvent être regroupés en trois couples, où chacun des discours s'oppose à l'autre. Pour Phèdre et pour Ahathon, il n'y a qu'un seul Éros. Toutefois, alors que Phèdre soutient qu'Éros est le dieu le plus ancien, Agathon maintient, au contraire, qu'il est le plus jeune. Par ailleurs, Pausanias et Éryximaque estiment qu'il y a deux Éros qui correspondent aux deux Aphrodites, la Céleste (Ourania) et la Vulgaire (Pandemos). Mais, alors que Pausanias n'examine les conséquences de cette dualité que dans le cas de l'homme, Éryximaque étend son enquête à l'ensemble des êtres. Enfin, Aristophane et Socrate posent le problème à un autre niveau. Pour Aristophane, Éros est le seul dieu qui puisse nous permettre de réaliser ce à quoi tend tout être humain: la réunion avec la moitié de lui-même dont il a été séparé par Zeus. Et, pour Socrate, qui rapporte les paroles de Diotime, une étrangère de Mantinée, Éros n'est pas un dieu, mais un démon, qui, étant donné sa fonction d'intermédiaire, permet de transformer l'aspiration vers le Beau et vers le Bien que ressent tout homme en une possession perpétuelle, par le moyen de la procréation selon le corps et selon l'âme. Plus généralement encore, alors que les deux premiers couples de discours, celui de Phèdre et d'Agathon et celui de Pausanias et d'Éryximaque ont pour arrière-plan la théologie traditionnelle, transmise par Hésiode en particulier et par la plupart des poètes en général, le dernier couple de discours fait référence à des mouvements religieux plus atypiques en Grèce ancienne: le discours d'Aristophane révèle une influence orphique et le discours de Socrate qui prétend rapporter les paroles de Diotime s'inspire des mystères d'Éleusis." (p.39-40)

    "L'intervention de l'amour comme moyen d'accès au Beau présente un intérêt tout particulier dans le contexte de la philosophie platonicienne: il s'agit de la seule passion qui puisse avoir pour objet à la fois le sensible et l'intelligible, pour lequel elle consiste un moyen d'accès incomparable. Le philosophe y trouve sa véritable définition: c'est l'amant (erastes) par excellence." (p.73)
    -Luc Brisson, Introduction à Platon, Le Banquet, GF Flammarion, Paris, 2016 (1998 pour la première édition), 285 pages.

    "[Éryximaque]: Chacun de d'entre nous, en allant de la gauche vers la droite, devrait prononcer un discours, qui soit un éloge à l'amour, le plus beau possible." (p.96)

    "[Socrate]: [Je] déclare ne rien savoir sauf sur les sujets qui relèvent d'Éros." (p.96)

    "[Phèdre]: Éros est un dieu important et qui mérite l'admiration chez les dieux comme chez les hommes, pour de multiples raisons, dont la moindre n'est pas son origine. Il est parmi les dieux l'un des plus anciens, ce qui est un honneur [...] De cette ancienneté, voici la preuve. Éros n'a ni père ni mère et aucun auteur, qu'il soit poète ou prosateur, ne lui en attribue." (p.97)

    "[Phèdre]: Puisqu'il est le plus ancien, Éros est pour nous la source des biens les plus grands. Pour ma part, en effet, je suis incapable de nommer un bien qui surpasse celui d'avoir dès sa jeunesse un amant de valeur, et pour amant, d'avoir un aimé de valeur. Car le principe qui doit inspirer pendant toute leur vie les hommes qui cherchent à vivre comme il faut, cela ne peut être ni les relations de famille, ni les honneurs, ni la richesse, ni rien d'autre qui les produise, mais cela doit être au plus haut point l'amour.
    Eh bien, ce principe directeur quel est-il, je le demande ? La honte liée à l'action laide, et la recherche de l'honneur liée à l'action belle. Sans cela, en effet, ni cité ni individu ne peuvent réaliser de grandes et belles choses. Cela admis, je déclare pour ma part que tout homme qui est amoureux, s'il est surpris à commettre une action honteuse ou s'il subit un traitement honteux sans, par lâcheté, réagir, souffrira moins d'avoir été vu par son père, par ses amis ou par quelqu'un d'autre que par son amant. Et il en va de même pour l'aimé: c'est devant ses amants qu'il éprouve le plus de honte, quand il est surpris à faire quelque chose de honteux. S'il pouvait y avoir moyen de constituer une cité ou de former une armée avec des amants et leurs aimés, il ne pourrait y avoir pour eux de meilleure organisation, que le rejet de tout ce qui est laid, et l'émulation dans la recherche de l'honneur. Et si des hommes comme ceux-là combattaient coude à coude, si peu nombreux fussent-ils, ils pourraient vaincre l'humanité en son entier pour ainsi dire. Car, pour un amant, il serait plus intolérable d'être vu par son aimé en train de quitter son rang ou de jeter ses armes que de l'être par le reste de la troupe, et il préférerait mourir plusieurs fois plutôt que de faire cela. Et quand à abandonner son aimé sur le champ de bataille ou à ne pas lui porter secours quand il est en danger, nul n'est lâche au point qu'Éros, lui-même, ne parvienne pas à lui inspirer une divine vaillance au point de le rendre aussi vaillant que celui qui l'est par nature. Il ne fait aucun doute que ce que Homère a évoqué en parlant de "la fougue qu'insuffle à certains héros la divinité", c'est ce qu'Éros accorde aux amants, ce qui vient de lui.
    Oui et mourir pour autrui, c'est en tout cas ce à quoi seuls consentent ceux qui sont amoureux, et pas seulement les hommes, mais aussi les femmes.
    C'est ce dont la fille de Pélias, Alceste, fournit aux Grecs une preuve évidente qui appuie ce que j'avance, elle qui fut la seule à consentir à mourir à la place de son époux, alors que celui-ci avait encore son père et sa mère, qu'elle surpassa par l'attachement né de son amour au point de faire apparaître ces gens pour des étrangers à l'égards de leur fils et sans autre lien avec lui que le nom. Et, lorsqu'elle eut agi de la sorte, son geste parut tellement admirable non seulement aux hommes, mais aussi aux dieux, que ces derniers réagirent de la façon suivante. Alors même que, parmi tant de personnages qui ont accompli tant d'actions admirables, il est facile de compter le nombre de ceux auxquels les dieux ont accordé comme privilège de faire remonter leur âme de l'Hadès, eh bien, son âme à elle, les dieux la firent remonter de l'Hadès, parce que son acte les avait remplis d'admiration. Tant il est vrai que les dieux honorent au plus haut point le dévouement et la vertu que suscite Éros
    ." (p.97-99)

    "[Pausanias]: Prise en elle-même, une action n'est ni belle ni honteuse. Par exemple, ce que, pour l'heure, nous sommes en train de faire, boire, chanter, converser, rien de tout cela n'est en soi une action belle ; mais c'est dans la façon d'accomplir cette action que réside telle ou telle qualification. Lorsqu'elle est accomplie avec beauté et dans la rectitude, une action devient belle, et lorsque la même action est accomplie sans rectitude, elle devient honteuse. Et il en va de même pour l'amour et pour Éros ; Éros n'est pas indistinctement beau et digne d'éloge, seul l'est l'Eros qui incite à l'amour qui est beau." (p.101)

    "[Pausanias]: Ceux qui détiennent le pouvoir ne tirent aucun avantage, j'imagine, du fait que naissent chez leurs sujets de hautes pensées, ou même de solides amitiés et de fortes solidarités, ce que justement l'amour, plus que toute autre chose, se plaît à réaliser." (p.103)

    "[Pausanias]: Se conduire de façon honteuse, c'est céder sans gloire à quelqu'un qui n'en vaut pas la peine, alors que se bien conduire, c'est céder de belle façon à quelqu'un qui le mérite. Et celui qui n'en vaut pas la peine, c'est l'amant "vulgaire", celui qui aime le corps plutôt que l'âme. En effet, cet amant-là n'a pas de constance, puisque l'objet même de son amour n'a pas de constance ; oui, sitôt que se fane la fleur du corps que précisément cet amant-là aimait, "il s'envole et disparaît", et il trahit sans vergogne tant de beaux discours et de promesses. En revanche, celui qui aime un caractère qui en vaut la peine reste un amant toute sa vie, car il s'est fondu avec quelque chose de constant.." (p.105)

    "[Pausanias]: Chez nous en effet la règle est la suivante: de même, on vient de le dire, que les amants peuvent être les esclaves consentants de l'aimé, sous quelque forme que ce soit, sans tomber dans la flatterie ni donner prise à la réprobation, de même aussi il n'existe qu'une seule autre forme d'esclavage volontaire qui échappe au blâme ; celle qui a la vertu pour objet. En effet, chez nous, la règle est la suivante: si l'on accepte d'être au service de quelqu'un en pensant que par son intermédiaire on deviendra meilleur dans une forme de savoir quelconque ou dans un autre domaine de l'excellence, quel que soit ce domaine, cet esclavage accepté n'a rien de honteux."(p.106)

    "[Aristophane]: Il vous faut apprendre ce qu'était la nature de l'être humain et ce qui lui est arrivé. Au temps jadis, notre nature n'était pas la même qu'aujourd'hui, mais elle était d'un genre différent." (p.114)

    "[Agathon]: En plus de la justice, Éros a en partage la modération la plus grande. On est d'accord pour dire que la modération réside dans le fait de dominer plaisirs et désirs. Or il n'est pas de plaisir plus puissant que celui dispensé par Éros. Si les plaisirs et les désirs inférieurs sont dominés par Éros, et si Éros domine, puisqu'il domine les plaisirs et les désirs, Éros est au suprême degré tempérant.
    Et si effectivement nous passons au courage, il est certain qu' "avec Éros même Arès ne peut rivaliser". En effet, ce n'est pas Arès qui possède Éros, mais Éros, c'est-à-dire à ce qu'on raconte l'amour pour Aphrodite, qui possède Arès. Or celui qui possède est plus fort que celui qui est possédé ; et celui qui domine celui qui est plus courageux que les autres, celui-là est le plus courageux de tous.
    " (p.126)

    "[Agathon]: Il n'est du moins personne qui ne devienne poète, "même s'il n'était auparavant étranger à la Muse", une fois qu'Éros l'a touché." (p.126)

    "[Socrate]: Quiconque éprouve le désir de quelque chose, désire ce dont il ne dispose pas et ce qui n'est pas présent ; et ce qu'il n'a pas, ce qu'il n'est pas lui-même, ce dont il manque, tel est le genre de choses vers quoi vont son désir et son amour." (p.134)

    "[Diotime]: La possession de choses bonnes c'est ce qui explique que les gens heureux sont heureux ; et il n'est plus besoin de poser cette nouvelle question: "Pourquoi celui qui souhaite être heureux souhaite-t-il l'être ?". Avec cette réponse, nous touchons bien au terme de nos peines." (p.145)

    "[Diotime]: Tout ce qui est cause du passage du non-être vers l'être pour quoi que ce soit, voilà en quoi consiste la fabrication (poiesis)." (p.146)

    "[Diotime]: Voilà bien en quoi, chez l'être vivant mortel réside l'immortalité: dans la grossesse et dans la procréation." (p.149)

    "[Diotime]: La partie la plus haute et la plus belle de la pensée, c'est celle qui concerne l'ordonnance des cités et des domaines ; on lui donne le nom de modération et de justice." (p.154)

    "[Diotime]: Il serait insensé de ne pas tenir pour une et identique la beauté qui réside dans tous les corps." (p.156)

    "[Diotime]: Celui qui a été guidé jusqu'à ce point par l'instruction qui concerne les questions relatives à Éros, lui qui a contemplé les choses belles dans leur succession et dans leur ordre correct, parce qu'il est désormais arrivé au terme suprême des mystères d'Éros, apercevra soudain quelque chose de merveilleusement beau par nature, cela justement, Socrate, qui était le but de tous ses efforts antérieurs, une réalité qui tout d'abord n'est pas soumise au changement, qui ne naît ni ne périt, qui ne croît ni ne décroît, une réalité qui par ailleurs n'est pas belle par un côté et laide par un autre, belle à un moment et laide à un autre, belle sous un certain rapport et laide sous un autre, belle ici et laide ailleurs, belle pour certains et laide pour d'autres. Et cette beauté ne lui apparaîtra pas davantage comme un visage, comme des mains ou comme quoi que ce soit d'autre qui ressortisse au corps, ni même comme un discours ou comme une connaissance certaine ; elle ne sera pas non plus, je suppose, situé dans un être différent d'elle-même, par exemple dans un vivant, dans la terre ou dans le ciel, ou dans n'importe quoi d'autre. Non, elle lui apparaîtra en elle-même et pour elle-même, perpétuellement unie à elle-même dans l'unicité de son aspect, alors que toutes les autres choses qui sont belles participent de cette beauté d'une manière telle que ni leur naissance ni leur mort ne l'accroît ni ne la diminue en rien, et ne produit aucun effet sur elle.
    Toutes les fois donc que, en partant des choses d'ici-bas, on arrive à s'élever par une pratique correcte de l'amour des jeunes garçons, on commence à contempler cette beauté-là, on est pas loin de toucher au but. Voilà donc quelle est la droite voie qu'il faut suivre dans le domaine des choses de l'amour ou sur laquelle il faut se laisser conduire par un autre: c'est, en prenant son point de départ dans les beautés d'ici-bas pour aller vers cette beauté-là, de s'élever toujours, comme au moyen d'échelons, en passant d'un seul beau corps à deux, de deux beaux corps à tous les beaux corps, et des beaux corps aux belles occupations, et des occupations vers les belles connaissances qui sont certaines, puis des belles connaissances qui sont certaines vers cette connaissance qui constitue le terme, celle qui n'est autre que la science du beau lui-même, dans le but de connaître finalement la beauté en soi.
    C'est à ce point de la vie, mon cher Socrate, reprit l'étrangère de Mantinée, plus qu'à n'importe quel autre, que se situe le moment où, pour l'être humain, la vie vaut la peine d'être vécue, parce qu'il contemple la beauté en elle-même. Si un jour tu parviens à cette contemplation, tu reconnaîtras que cette beauté est sans rapport avec l'or, les atours, les beaux enfants et les beaux adolescents dont la vue te bouleverse à présent. Oui, toi et beaucoup d'autres, qui souhaitiez toujours contempler vos bien-aimés et toujours profiter de leur présence si la chose était possible, vous êtes tout prêt à vous priver de manger et de boire, en vous contentant de contempler vos bien-aimés et de jouir de leur compagnie. A ce compte, quels sentiments, à notre avis, pourrait bien éprouver, poursuivit-elle, un homme qui arriverait à voir la beauté en elle-même, simple, pure, sans mélange, étrangère à l'infection des chairs humaines, des couleurs et d'une foule d'autres futilités mortelles, qui parviendrait à contempler la beauté en elle-même, celle qui est divine, dans l'unicité de sa Forme ? Estimes-tu, poursuivit-elle, qu'elle est minable la vie de l'homme qui élève les yeux vers là-haut, qui contemple cette beauté par le moyen qu'il faut et qui s'unit à elle ? Ne sens-tu pas, dit-elle, que c'est à ce moment-là uniquement, quand il verra la beauté par le moyen de ce qui la rend visible, qu'il sera en mesure d'enfanter non point des images de la vertu, car ce n'est pas une image qu'il touche, mais des réalités véritables, car c'est la vérité qu'il touche. Or, s'il enfante la vertu véritable et qu'il la nourrit, ne lui appartient-il pas d'être aimé des dieux ? Et si, entre tous les hommes, il en est un qui mérite de devenir immortel, n'est-ce-pas lui ?
    " (p.157-158)

    "[Socrate]: Aucun dieu ne philosophe ni ne désire devenir sage, puisque la sagesse est le propre de la nature divine ; et, en général, quiconque est sage ne philosophe pas."

    "[Diotime]: Si quelque chose donne du prix à cette vie, c’est la contemplation de la beauté absolue [...] Que penser d’un mortel à qui il serait donné de contempler la beauté pure, simple, sans mélange, non revêtue de chairs et de couleurs humaines et de toutes les autres vanités périssables, mais la beauté divine elle-même ? Penses-tu que ce serait une destinée misérable que d’avoir les regards fixés sur elle, que de jouir de la contemplation et du commerce d’un pareil objet ? Ne crois-tu pas, au contraire, que cet homme, étant le seul ici-bas qui perçoive le beau par l’organe auquel le beau est perceptible, pourra seul engendrer, non pas des images de vertu, puisqu’il ne s’attache pas à des images, mais des vertus véritables, puisque c’est à la vérité qu’il s’attache ? Or, c’est à celui qui enfante et nourrit la véritable vertu qu’il appartient d’être chéri de Dieu ; et si quelque homme doit être immortel, c’est celui-là surtout."

    "[Socrate]: Les yeux de l’esprit ne commencent guère à devenir clairvoyants qu’à l’époque ou ceux du corps s’affaiblissent."
    -Platon, Le Banquet, GF Flammarion, Paris, 2016 (1998 pour la première édition), 285 pages.


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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".

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    Message par Johnathan R. Razorback Mer 1 Nov - 21:21

    "Le plaisir n'est ni le premier, ni le second des biens. Le premier rang, dans la vie heureuse, appartient à la mesure, le deuxième à la proportion, au beau, au parfait, à ce qui se suffit à soi-même. Au troisième rang vient l'intelligence ; au quatrième, les sciences, les arts et les opinions vraies, enfin au cinquième les plaisirs exempts de douleurs qui accompagnent, les uns les connaissances, les autres les sensations."
    -Émile Chambry, notice sur le Philèbe in Sophiste - Politique - Philèbe - Timée - Critias, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 509 pages, p.266.

    "En admettant, comme le faisait Socrate dans le Gorgias, que le bien ne doive pas être seulement identifié à l'exercice de la pensée, de la réflexion ou encore du savoir et de la connaissance scientifique, mais que le plaisir puisse aussi bien entrer dans sa définition (et que les bonnes choses soient aussi des choses plaisantes), la question demeurerait encore de savoir lequel des deux éléments de ce mélange doit prédominer." (p.14)

    "Si la vie bonne doit comporter du plaisir et de la réflexion, c'est indubitablement parce que ni le plaisir ni la réflexion ne sont totalement et suffisamment bons: soit parce que l'un des deux termes a besoins de l'autre pour s'accomplir, soit encore parce que les deux termes sont des genres, au sein duquel tous les éléments ne sont pas bons." (p.16)

    p.24
    -Jean-François Pradeau, introduction à Platon, Philèbe, trad. Jean-François Pradeau, Paris, GF-Flammarion, 2002, 341 pages.

    -Platon, Philèbe, trad. Jean-François Pradeau, Paris, GF-Flammarion, 2002, 341 pages.



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    Message par Johnathan R. Razorback Sam 4 Nov - 16:23

    " http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/loislivre5.htm

    "Rien de ce qui est né de la terre n'est plus estimable que ce qui vient du ciel."

    "Tout l'or qui est sur terre ou sous terre ne vaut pas la vertu."

    "Presque personne ne songe à ce qu'on peut appeler le plus grand châtiment de la perversité, qui est de devenir semblable aux gens vicieux, et, par suite, de fuir les gens de bien et les discours vertueux, de s'en éloigner et de chercher la compagnie des méchants jusqu'à nous coller à eux et, une fois confondus avec eux, de faire et de souffrir forcément ce qu'il est naturel que les méchants fassent et disent entre eux."
    -Platon, Les Lois, V, 1.

    "L'homme ne possède rien qui soit naturellement plus disposé que l'âme à fuir le mal et à poursuivre et atteindre le souverain bien, et, quand il l'a atteint, à s'y attacher le reste de sa vie."

    "Il nous faut examiner ensuite comment nous devons nous comporter pour passer la vie le plus honorablement possible. C'est un point qui échappe à la loi, mais non à l'éloge et au blâme qui contribuent à l'éducation du public et le rendent plus docile au frein et plus disposé à recevoir la législation qu'on veut lui donner. La vérité, pour les dieux comme pour les hommes, c est le premier de tous les biens."

    "Le fourbe ni le sot n'ont point d'amis et, lorsque avec le temps ils sont connus pour ce qu'ils sont, il se trouve qu'ils se sont préparé une vieillesse pénible et sont réduits à une solitude complète à la fin de leur vie, et, soit que leurs amis et leurs enfants soient vivants ou non, ils n'en sont pas moins entièrement abandonnés."
    -Platon, Les Lois, V, 2.

    "Si donc on veut louer la plus belle vie, il ne suffit pas de dire qu'elle l'emporte parce que la tenue des gens de bien contribue à leur bonne renommée ; il faut ajouter que, si on veut la goûter dès ses premiers ans et ne plus s'en écarter, elle l'emporte encore par ce que nous cherchons tous, qui est d'avoir plus de plaisirs que de peines dans tout le cours de notre vie."
    -Platon, Les Lois, V, 5.

    "Quelles sont les conditions et combien y en a-t-il qu'il faut examiner pour y choisir ce qu'on veut et ce qui plaît et rejeter ce qu'on ne veut pas et ce qui déplaît, se régler sur ce choix, et, pour que, prenant ainsi ce qui est désirable et agréable, ce qu'il y a de meilleur et de plus beau, on puisse mener l'existence la plus heureuse qui soit donnée à l'homme ? Nous pouvons dire qu'il y en a une où domine la tempérance, une deuxième où domine la raison, une troisième où domine le courage et une quatrième qui a la santé en partage, et qu'à ces quatre-là s'en opposent quatre autres, où dominent la folie, la lâcheté, l'intempérance, la maladie. Celui qui sait ce que c'est que la vie d'un homme tempérant conviendra qu'elle est modérée en tout, qu'elle cause des peines tranquilles et des plaisirs paisibles, que ses désirs sont doux et ses amours sans emportement; qu'au contraire la vie de l'intempérant est excessive en tout, que les peines et les plaisirs y sont violents, les désirs intenses et enragés et les amours furieux au dernier point; que dans la vie de tempérance les plaisirs l'emportent sur les peines et dans l'intempérante les peines dépassent les plaisirs en grandeur, en nombre et en fréquence; qu'ainsi la première est plus agréable et que la seconde est forcément de par sa nature plus féconde en chagrins, et que celui qui veut avoir une vie heureuse ne peut plus vivre volontairement dans l'intempérance. Dès lors il est évident, si ce que nous disons maintenant est juste, que l'on est toujours intempérant malgré soi ; car c'est parce qu'elle est ignorante, ou qu'elle est impuissante à maîtriser ses passions, ou par ces deux causes à la fois, que la foule des humains ne pratique point la tempérance dans sa conduite."

    "Aussi la vie de l'homme courageux a l'avantage sur celle du lâche, celle de l'homme sensé sur celle de l'insensé. Par conséquent la vie qui a en partage la tempérance, le courage, la sagesse ou la santé est plus agréable que celle où se trouvent la lâcheté, la folie, l'intempérance et la maladie. En un mot, la condition de l'homme qui s'attache aux qualités du corps et de l'âme est plus agréable que celle de l'homme qui s'attache aux vices de l'un et de l'autre, et elle l'emporte encore par d'autres avantages, tels que la beauté, l'honnêteté, la vertu et la bonne renommée. Aussi rend-elle celui qui l'embrasse infiniment plus heureux que ne fait la condition opposée."
    -Platon, Les Lois, V, 6.

    "L'État, le gouvernement, les lois qui tiennent le premier rang pour l'excellence sont ceux où l'on pratique le plus strictement, dans toutes les parties de l'État, le vieux dicton, que tout est véritablement commun entre amis. Si donc il arrive quelque part à présent, ou s'il doit arriver un jour que les femmes soient communes, les enfants communs et tous les biens communs, qu'on s'applique par tous les moyens à retrancher du commerce de la vie ce qu'on appelle la propriété individuelle, qu'on parvienne à rendre communs en quelque manière et dans la mesure du possible même les choses que la nature a données en propre à chaque homme, comme les yeux, les oreilles et les mains, et que tous les citoyens s'imaginent qu'ils voient, qu'ils entendent, qu'ils agissent en commun, qu'ils soient, autant qu'il se peut, unanimes à louer ou blâmer les mêmes choses, d qu'ils se réjouissent ou s'affligent pour les mêmes motifs, enfin que les lois établissent dans l'État la plus parfaite unité qui se puisse réaliser, jamais personne ne posera de règle plus juste et meilleure que celle-là pour atteindre le plus haut degré de vertu. Dans une telle cité, qu'elle soit habitée par des dieux ou des enfants de dieux qui soient plusieurs ensemble, ils passeront leur existence dans la joie. C'est pourquoi il ne faut point chercher ailleurs un modèle de gouvernement, mais s'attacher à celui-là, et chercher par tous les moyens à réaliser celui qui lui ressemblera le plus."
    -Platon, Les Lois, V, 10.

    "Si un particulier se trouve dans la nécessité de voyager, il ne partira qu'après avoir obtenu la permission des magistrats et si, de retour en son pays, il lui reste de la monnaie étrangère, il la remettra à l'État et en recevra la valeur en monnaie du pays. S'il s'approprie cet argent et qu'il soit découvert, on le lui confisquera, et celui qui, l'ayant su, ne l'aura pas dénoncé sera sujet aux mêmes imprécations et aux mêmes opprobres que le coupable, qui sera de plus condamné à une amende égale à l'argent étranger qu'il aura importé."

    "On ne prêtera pas à intérêts, sinon, il sera permis à l'emprunteur de ne rien rendre du tout, ni intérêts, ni capital."

    "Celui qui dépense pour les belles choses et qui ne fait que des acquisitions justes ne peut guère devenir ni supérieurement riche ni excessivement pauvre, en sorte que nous avons raison de dire que les gens extrêmement riches ne sont pas gens de bien."
    -Platon, Les Lois, V, 12.

    "Dans une cité qui doit être à l'abri de la maladie la plus grave, je veux dire la sédition, qui serait mieux nommée dissension (61), il ne faut pas que certains citoyens souffrent de la pauvreté, tandis que d'autres sont riches, parce que ces deux états sont des causes de dissensions. Le législateur fixera donc une limite à chacun d'eux ; celle de la pauvreté sera la valeur du lot tiré au sort. On devra le conserver, et ni les magistrats ni parmi les autres citoyens ceux qui auront du zèle pour la vertu ne souffriront qu'on y fasse aucune brèche. Cette limite une fois posée, le législateur permettra d'acquérir le double, le triple et même le quadruple au-delà. Mais celui qui possédera des biens qui dépasseront cette mesure, qu'il les ait trouvés, qu'on les lui ait donnés, qu'il les ait acquis pal, le commerce ou de quelque autre manière semblable, les donnera à l'État et aux dieux protecteurs de l'État. Par là, il se fera honneur et échappera à l'amende. S'il ne se soumet pas à cette loi, celui qui voudra le dénoncer aura la moitié de cet excédent, l'autre moitié ira aux dieux, et le coupable payera en plus une amende égale à ce qu'il possède en trop. Tout ce qu'on possédera en plus de son lot sera inscrit dans un lieu public sous la garde de magistrats préposés à cet effet par la loi, afin que les procès sur tout ce qui a rapport aux biens soient parfaitement clairs et faciles à trancher."
    -Platon, Les Lois, V, 13.

    "Il y a des lieux bien plus propres que d'autres à rendre les hommes meilleurs ou pires, et qu'il ne faut pas que les lois soient contraires au climat."
    -Platon, Les Lois, V, 16.

    "Il y a trois formes de constitution: la monarchie, le gouvernement du petit nombre et la démocratie, qui se dédoublent, selon leur légalité, en royauté et en tyrannie, en aristocratie et en oligarchie et en démocratie réglée ou déréglée." (p.153)

    "C'est la méthode dichotomique qui, pour arriver à définir un objet, partage le genre auquel il appartient en toutes les espèces qu'il enferme, jusqu'à ce que, après avoir écarté tous les autres objets qui ont des caractères communs avec lui, on parvienne enfin au caractère spécifique de l'objet étudié." (p.156)

    "Le politique idéal est d'ailleurs impossible à trouver dans le cycle actuel, où les pasteurs divins du cycle précédent ont fait place à des pasteurs humains. Aussi faut-il recourir à la loi, si l'on veut éviter que le chef, toujours tenté d'abuser de son pouvoir, ne devienne un tyran." (p.160)
    -Émile Chambry, notice sur le Politique in Sophiste - Politique - Philèbe - Timée - Critias, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 509 pages.



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    Message par Johnathan R. Razorback Jeu 10 Fév - 17:56

    "Platon est le fils d’Ariston et de Périctionè [...] Du côté maternel, la famille de Platon remonte jusqu’à Solon, et du côté paternel jusqu’à Mélanthos, dont le fils Codros aurait été roi d’Athènes. Par son père et par sa mère, Platon pouvait donc remonter jusqu’à Poséidon. Il aurait vécu de 428/7 à 348/7, soit quatre-vingt-une années. À un moment, on fit courir le bruit qu’il était en fait le fils d’Apollon. Voilà pourquoi, dans les écoles platoniciennes, on fêtait l’anniversaire de Platon le jour de la naissance d’Apollon, et l’anniversaire de Socrate, la veille, le jour de la naissance d’Artémis la sœur jumelle d’Apollon. Platon serait né à Égine où son père se serait provisoirement installé comme colon, mais il aurait vécu surtout à Athènes. Il eut pour frère Adimante et Glaucon, qui interviennent dans la République notamment, pour sœur Potonè qui fut la mère de Speusippe, son
    successeur à la tête de l’Académie, et pour demi-frère l’Antiphon mentionné dans le Parménide, enfant né d’un second mariage de sa mère. On sait peu de choses sur la vie de Platon, qui vers l’âge de vingt ans, soit aux alentours de 408/7, s’attacha à Socrate jusqu’à la mort de ce dernier, en 399. En 404, Athènes tombe aux mains de Sparte qui instaure aussitôt un régime oligarchique. Mais la tyrannie des « Trente » citoyens désignés par Sparte pour diriger Athènes, au nombre desquels se trouvent Charmide, son oncle maternel, et Critias, le cousin de sa mère, connaît un destin trop éphémère et tragique pour permettre à Platon de s’occuper des affaires publiques. La démocratie est rétablie en 403, mais elle condamne Socrate à mort en 399 au cours d’un procès dont l’Apologie se veut le témoignage.

    Il est pratiquement impossible de décrire quelles relations concrètes entretint Platon avec un Socrate qui fut, à n’en point douter, un personnage hors du commun, si l’on considère ceux qui formèrent son entourage. On y trouve Callias, le citoyen le plus riche d’Athènes, un militaire conservateur comme Xénophon, des hommes politiques particulièrement contestables comme Critias, Charmide et surtout Alcibiade, et des philosophes de tendances très différentes, voire opposées, comme Aristippe de Cyrène (tenu pour le fondateur de l’école cyrénaïque, il considère que le but de la vie réside dans la recherche des plaisirs), Antisthène (le premier des Cyniques, il rejette toutes les doctrines et prône une vie faite d’exercices destinés à affronter les souffrances que peuvent infliger à l’homme la Fortune et la Nature), Euclide de Mégare, le fondateur de l’école mégarique qui s’intéresse surtout à l’argumentation et qui met en évidence l’impossibilité pour la raison d’appréhender adéquatement le devenir, et finalement Platon, qui rend compte du sensible par sa participation à l’intelligible et qui considère que le but de l’existence est de s’assimiler à la divinité par la recherche du savoir tendu vers un Bien unique. C’est d’ailleurs probablement ses liens avec Critias, Charmide et Alcibiade (et donc des griefs politiques ne pouvant s’exprimer ouvertement en raison de l’amnistie de 403) qui expliquent en grande partie le procès que Socrate dut affronter en 399 et qui entraîna sa mort. En 388-387, comme le raconte la Lettre VII, Platon se rend en Italie du Sud où il rencontre Archytas, puis en Sicile d’où il revient bientôt en raison des mauvais rapports qu’il entretient avec le tyran Denys. À son retour, il fonde l’Académie que va fréquenter Aristote pendant vingt ans, entre 368/7 et 348/7. En 367/6, Platon revient en Sicile à la demande de Dion, ancien élève de l’Académie, qui était le beau-frère du nouveau tyran Denys (le jeune), le fils du précédent. Platon nourrit l’espoir de convertir le tyran à ses idées. Peine perdue, car Dion est exilé et Platon lui-même doit revenir précipitamment à Athènes. En 361/0, il retourne à Syracuse pour aider Dion ; c’est une fois de plus un échec. En 357, Dion lance une expédition victorieuse contre la Sicile ; mais son succès est de courte durée, car il est assassiné en 354. Platon meurt en 348/7, alors qu’il travaille à la rédaction des Lois." (p.7)

    "Une école platonicienne, où le texte de Platon était vénéré, se maintint pendant près de mille ans, depuis 387 avant J.-C. jusqu’à la fermeture de l’École néoplatonicienne d’Athènes en 529 après J.-C." (p.Cool

    "Il est impossible de parler de l’âme sans évoquer les formes intelligibles. Or Platon ne dit jamais ce qu’est une forme intelligible. Dans le Phédon, il affirme qu’il existe deux espèces d’êtres, d’une part l’espèce visible, d’autre part l’espèce invisible. L’intelligible, c’est ce qui est totalement être, purement et simplement être, ce qui est véritablement. Cette espèce d’être se caractérise par son unité ; il est un mathématiquement et surtout structurellement, car il est pur sans mélange. Face aux choses qui ne cessent de changer, qui naissent et qui périssent donc, la réalité intelligible se caractérise par son immuabilité ; elle ne naît ni ne périt. Par suite, elle ne peut être considérée comme un effet, et doit de ce fait être
    tenue pour cause de son être. Si Platon fait l’hypothèse de l’existence de formes intelligibles, c’est pour fonder une éthique, une théorie de la connaissance et une ontologie. Devant les déboires d’Athènes – la cité classique s’écroule sous les coups de ses adversaires et ses citoyens tiennent sur les valeurs communes des discours contradictoires –, Platon, qui veut prolonger l’action de Socrate, cherche à établir un ordre politique différent fondé sur des principes moraux absolument sûrs, ce qui explique que les premiers dialogues portent sur des questions éthiques. Il s’agit de définir les vertus essentielles du citoyen parfait, exigence qui implique l’existence de normes absolues ne dépendant ni de la tradition (celle que transmettent les poètes), ni de conventions arbitraires (comme le prétendent les sophistes). Mais cette hypothèse, qui rend possible un système éthique, renvoie à la sphère épistémologique, comme en atteste le Ménon. Pour pouvoir saisir ces normes absolues dont l’éthique a besoin, il faut faire l’hypothèse de l’existence d’une faculté distincte de l’opinion, l’intellect. Or, une distinction entre l’intellect et l’opinion exige de distinguer leurs objets respectifs : alors que l’opinion a pour domaine les choses sensibles plongées dans le devenir, l’intellect peut saisir des réalités immuables et absolues. Bref, pour rendre compte de processus de connaissance qui supposent certaines exigences morales, Platon est amené à faire l’hypothèse de l’existence de ces réalités que sont les formes intelligibles qui, à la différence des choses sensibles, sont saisies non par les sens, mais par le souvenir de la vision qu’en a eu l’âme lorsqu’elle était séparée de tout corps terrestre. Allons encore plus loin. Certes, les formes intelligibles rendent compte des processus de la connaissance intellectuelle. Cependant, la réalité sensible ne dépend pas de ces processus de connaissance. Or, si, dans le monde sensible, les objets et leurs caractéristiques se réduisent à des résultats transitoires de mouvements composés, aucune éthique, aucune épistémologie ne peut être développée, et, dans cette perspective, l’hypothèse de
    l’existence d’un monde de formes intelligibles se présente comme un artifice commode, mais sans ancrage dans la réalité. Par conséquent, indépendamment des nécessités qu’imposent l’éthique et l’épistémologie, il faut découvrir un fondement ontologique permettant de rendre compte des phénomènes sensibles qui, abandonnés à eux-mêmes, se dissoudraient dans un devenir incessant. On ne peut connaître ces phénomènes sensibles, on ne peut en parler que s’ils présentent une certaine stabilité, celle que leur assure leur participation à l’intelligible. Bref, en fabriquant l’univers les yeux fixés sur les formes intelligibles, le démiurge garantit dans le monde sensible une certaine stabilité permettant qu’on le connaisse et qu’on en parle, et dans la cité l’existence de normes servant à orienter la conduite humaine individuelle et collective. Voilà en fait quelle devait être l’intention de Platon en écrivant le Timée, qui apparaît en quelque sorte comme le terme d’une élaboration dont le Ménon, le Phédon et le Phèdre constituent les étapes essentielles. Puisqu’elles en sont les images, les choses sensibles doivent ressembler aux formes intelligibles. Mais la notion de ressemblance est à double face : elle implique à la fois conformité et disparité. Dans le Timée, c’est l’intervention du démiurge qui assure la conformité des choses sensibles aux Formes dont elles participent ; et c’est la khōra ou « milieu spatial » qui rend compte de leur disparité par rapport aux Formes ; toutes les choses sensibles, qui en sont faites, y apparaissent multiples et distinctes et s’y transforment (Timée 52c2-d1). Si Timée peut dire de la khōra qu’« elle participe de l’intelligible d’une façon particulièrement déconcertante », cela signifie non pas qu’il y a de la khōra une forme intelligible, mais que la khōra présente plusieurs traits qui l’apparentent à l’intelligible : c’est un principe, il est immuable, il n’est pas perceptible par les sens, etc. Dans le Timée, Platon distingue donc non plus deux, mais trois genres, car, en plus des formes intelligibles et des choses sensibles, il évoque l’existence de la khōra, en quoi se trouvent les choses sensibles et à partir de quoi elles sont constituées (Timée 51e6-52c1). L’existence de réalités intelligibles considérées comme modèles permet donc aux choses sensibles de posséder assez de permanence et de régularité pour qu’on puisse les percevoir, les penser et agir sur elles. Cette régularité et cette permanence doivent se retrouver dans la cité, où politique et éthique sont indissociables. Si l’homme se définit non par son corps, mais par son âme, la politique se trouve alors avoir pour but non point seulement la gestion des moyens matériels qui assurent la survie, la reproduction et la protection des corps de citoyens, mais avant tout l’excellence de leur âme qui doit obéir aux décrets de l’intellect. Ces décrets sont incarnés dans les ordonnances des philosophes (voir la République) soit dans les lois (voir les Lois), et c’est l’éducation qui, non seulement à l’école, mais aussi à l’occasion des différentes fêtes civiques, doit modeler les mœurs et le comporte- ment des citoyens pour les rendre parfaitement réceptifs aux ordonnances des philosophes ou aux lois." (pp.10-11)
    -Luc Brisson, introduction à Platon, Œuvres complètes, traduction dirigée par Luc Brisson, Paris, Flammarion, 2008, 2204 pages.

    "Le Théétète raconte la conversation que Socrate a, la veille de son procès, avec Théodore de Cyrène, qui enseigne la géométrie à Athènes, et un jeune élève de ce dernier, Théétète. Tout naturellement, la discussion porte sur la nature de la science (epistḗmē) ou du savoir (sophía). Théétète propose trois définitions qui seront toutes réfutées par Socrate : la science c’est la sensation (151e-186e), c’est l’opinion vraie (187a-200d) et c’est l’opinion vraie accompagnée d’une définition (200d-210a). Le dialogue se termine sur un constat d’échec. La réapparition de Socrate comme interlocuteur principal et le ton aporétique de la conclusion amènent à ranger le Théétète, qui semble pourtant être
    un dialogue de la dernière période, parmi les dialogues de la première période. Le caractère aporétique du Théétète est réel, mais limité. Suivant l’interprétation traditionnelle, Platon s’efforce de montrer que si l’on met les Formes de côté, on est désormais incapable de définir la science et, a fortiori, de faire de la science. Cela confirme l’avertissement de
    Parménide dans le dialogue qui porte son nom : sans les Formes, c’est la dialectique, laquelle constitue le cœur de la philosophie, qui est ruinée. Dans le Théétète, Platon cherche à suggérer que, si l’on se débarrasse des Formes, on en revient nécessairement à la dialectique aporétique de Socrate, à savoir une dialectique purement négative, celle de l’élenchos, qui est impuissante à produire ce savoir assuré et stable que l’on appelle « science ». Cependant, l’art d’accoucher les âmes, la maïeutique, que Platon introduit dans le Théétète lui permet de donner à Socrate un rôle positif dans le domaine de la science ou du savoir, sans que ce dernier ait à posséder et à transmettre une science ou un savoir. Par là, on retrouve le thème de la réminiscence dont l’importance pour concevoir la nature de l’éducation est affirmée dans le Ménon, le Phédon et le Banquet, notamment. La science est sensation, telle est la première définition de la science proposée par Théétète. Pour examiner cette définition, Socrate la rapproche des thèses d’Homère, d’Héraclite et de Protagoras, qui veulent que, en ce monde, tout soit en mouvement. Si tel est le cas, on ne peut plus parler de vérité. Voilà pourquoi Théétète est amené à admettre qu’il existe une instance qui connaît non pas les sensibles propres, mais les notions communes ; il s’agit de l’âme. Si l’âme existe, alors la science peut être définie comme opinion vraie. Mais encore faut-il expliquer l’opinion fausse. C’est alors que sont mises à contribution deux images célèbres. On peut, en faisant intervenir la mémoire, comparer l’âme à un morceau de cire, sur lequel les sensations s’impriment et où elles persistent, et expliquer l’erreur comme le mauvais ajuste- ment de la sensation aux opinions qui persistent. Mais l’erreur réside aussi dans ces opinions qui, de ce fait, ne peuvent accéder au rang de connaissances scientifiques. Voilà pourquoi une troisième définition de la science est proposée : « l’opinion vraie accompagnée d’une définition ». Or, fait remarquer Socrate, la définition est composée d’éléments divers qui, eux, restent inconnaissables ; comment dès lors s’en
    servir pour définir la science ? En définitive donc, ceux-là mêmes qui poursuivent les recherches dont les résultats sont les plus spectaculaires, à savoir les mathématiciens, ne sont pas en mesure de définir ce qu’est la science. L’absence de toute allusion à l’existence de formes intelligibles, radicalement distinctes des choses sensibles, et de toute référence à une âme qui puisse se séparer du corps a séduit les philosophes contemporains qui ne peuvent admettre ces « deux curiosités métaphysiques », mais qui cherchent à trouver en Platon un ancêtre prestigieux. Toute la question est de savoir comment interpréter cette double absence : abandon ou tacite reconduction destinée à démontrer la nécessité d’en tenir compte pour qui veut définir la science ?"
    -Luc Brisson, avant-propos à Théétète, in Platon, Œuvres complètes, traduction dirigée par Luc Brisson, Paris, Flammarion, 2008, 2204 pages.

    "SOCRATE:
    Voilà justement la chose même qui m’embarrasse, et que je ne suis pas capable de saisir suffisamment par moi-même : la science, ce qu’elle peut bien être. [146a] Oui, c’est bien là ma question : cela, sommes-nous en état de le dire ? Qu’en dites-vous ? Qui d’entre nous s’aventurerait à parler le premier ? Et celui qui manque la bonne réponse, je veux dire qui la manquerait chaque fois, il siégera, comme disent les enfants qui jouent à la balle, dans le rôle de l’âne ; mais qui, le cas échéant, s’en sortira sans faute, celui-là sera notre roi et pourra exiger réponse à la question de son choix. Pourquoi vous taisez-vous ? Est-ce que ce n’est pas moi, Théodore, qui, poussé par mon amour de la parole, suis un peu rustre, de prendre à cœur de nous faire dialoguer et devenir amis et interlocuteurs les uns des autres ?

    [...]

    THÉÉTÈTE: Ce qui me semble, donc, c’est, à la fois, que les choses qu’on peut apprendre de Théodore sont des sciences : la géométrie et les disciplines que tu énumérais il y a un instant ; et que la cordonnerie aussi, ainsi que les métiers des autres artisans, tous et aussi bien chacun d’entre eux, ce n’est pas autre chose que de la science.

    SOCRATE: De bonne race et généreux, mon cher, celui qui, quand on lui demande une seule chose, en donne plusieurs, et toute une variété à la place d’une chose simple.

    THÉÉTÈTE: En quel sens, Socrate ? Qu’est-ce que tu dis ?

    SOCRATE: Cela n’a peut-être aucun sens ; ce que je crois, pourtant, je vais te l’expliquer. Lorsque tu dis « cordonnerie », tu n’indiques pas autre chose que la science de la fabrication des chaussures ?

    THÉÉTÈTE: Rien d’autre.

    SOCRATE: Et qu’en est-il lorsque tu dis « menuiserie » ? Tu n’indiques pas autre chose que la science de la fabrication des objets en bois ?

    THÉÉTÈTE: Rien d’autre non plus.

    SOCRATE: Dans toutes les deux, donc, ce dont chacune est science, c’est cela que tu définis ?

    THÉÉTÈTE: Oui.

    SOCRATE: Mais la question posée, Théétète, n’était pas celle-là : quels sont les objets de la science, ou combien il y a de sciences ; car ce n’est pas parce que nous voulions les compter que nous t’interrogions, mais parce que nous voulions savoir, la science, considérée en soi, ce qu’elle peut bien être." (pp.1144-1145)

    "THÉÉTÈTE: Eh bien, vraiment, Socrate, quand tu donnes, toi, de tels encouragements, ce serait une honte de ne pas mettre son ardeur, par tous les moyens, à dire ce qu’on a à dire. Mon opinion, donc, est que celui qui sait quelque chose a la sensation de ce qu’il sait, et que, telle est du moins l’apparence présente, la science n’est pas autre chose que la sensation.

    SOCRATE: Cette fois, c’est « comme il faut et en homme de bonne race », mon enfant : c’est avec cette clarté, en effet, qu’il faut s’exprimer quand on parle. Eh bien, allons-y, examinons si c’est là le fruit d’une conception ou si cela ne se trouve être qu’un vent. Sensation, dis-tu, est science ?

    THÉÉTÈTE: Oui.

    SOCRATE: Tu risques bien d’avoir prononcé, sur la science, une parole qui n’est pas sans valeur, mais celle que disait aussi Protagoras. Mais c’est d’une autre façon qu’il a dit ces mêmes choses. Il dit en effet, n’est-ce pas, que l’homme est mesure de toutes choses, de celles qui sont, au sens où elles sont, de celles qui ne sont pas, au sens où elles ne sont pas. Tu dois bien l’avoir lu ?

    THÉÉTÈTE: Je l’ai lu souvent, même." (p.1149)
    -Platon, Théétète, in Platon, Œuvres complètes, traduction dirigée par Luc Brisson, Paris, Flammarion, 2008, 2204 pages.




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    « La question n’est pas de constater que les gens vivent plus ou moins pauvrement, mais toujours d’une manière qui leur échappe. » -Guy Debord, Critique de la séparation (1961).

    « Rien de grand ne s’est jamais accompli dans le monde sans passion. » -Hegel, La Raison dans l'Histoire.

    « Mais parfois le plus clair regard aime aussi l’ombre. » -Friedrich Hölderlin, "Pain et Vin".


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