http://philotra.pagesperso-orange.fr/hume_oeuvres.htm
http://www.econlib.org/library/LFBooks/Hume/hmMPL.html
http://classiques.uqac.ca/classiques/Hume_david/essais_moraux_pol_lit/sept_essais_economiques/sept_essais_econo.html
« L’esprit du peuple doit être stimulé souvent pour réfréner les ambitions de la cour, et la seule crainte qu’il ne soit pas stimulé doit être entretenue pour prévenir de telles ambitions. Rien ne remplit mieux ce rôle qu’une presse libre, grâce à laquelle tout le savoir, tout l’esprit et tout le génie de notre nation peuvent être mis au service de la liberté, et chacun s’employer à sa défense. Tant que l’élément républicain de notre gouvernement saura se maintenir contre l’élément monarchique, il veillera donc naturellement à encourager la liberté de la presse, si essentielle à sa propre préservation. » (De la liberté de la presse, p.123)
« [Henri IV] prince patriote et héroïque. » (La politique peut-elle être réduite à une science ?, 1741, p.130)
« Dans un gouvernement [monarchique] électif, la succession au trône est une question dont l’intérêt est trop grand et trop général pour ne pas diviser tout le peuple en factions, si bien qu’à chaque vacance on peut redouter une guerre civile, qui est le pire des maux. » ((La politique peut-elle être réduite à une science ?, 1741) (p.134)
« Pour ma part, je serais toujours plus porté à promouvoir la modération que le zèle, même si la meilleure façon d’inspirer de la modération aux membres de chaque parti est sans doute d’accroître le zèle de chacun pour le public. […] Mais que cette modération n’étouffe en rien l’industrie et la passion avec lesquelles chaque individu se doit de poursuivre le bien de son pays. » (p.142-143)
« Mon seul souhait est de convaincre les hommes de ne point s’affronter comme s’ils se battaient pro aris & focis [« Comme s’ils défendaient leurs autels et leurs foyers »]. » (p.146)
« Rien ne paraît plus surprenant à ceux qui observent les affaires humaines d’un œil philosophique que la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit, et la soumission tacite avec laquelle les hommes sacrifient leurs propres sentiments et leurs propres passions à celles de leurs chefs. Si l’on cherche comment de tels prodigues s’accomplissent, on trouve que puisque la force est toujours du côté des gouvernés, les gouvernants ne peuvent s’appuyer sur rien d’autre que l’opinion. C’est donc sur l’opinion seule que se fonde le gouvernement. Une telle maxime s’applique tant aux gouvernements les plus despotiques et les plus militaires qu’aux gouvernements les plus libres et les plus populaires. » (Des principes premiers du gouvernement, 1741) (p.147)
« On n’aurait aucune raison de craindre la fureur d’un tyran si la crainte était le seul fondement de son autorité. En tant qu’individu, sa force physique n’a qu’une portée réduite, et toute la puissance qu’il possède ne peut se fonder que sur l’opinion que nous en avons, ou sur l’opinion que nous présumons que les autres en ont. » (p.150)
« Existe-t-il en vérité divertissement plus agréable pour l’esprit que de se transporter dans les âges les plus reculés, et d’observer la société humaine dans sa prime enfance faire ses premiers pas en matière d’arts et de sciences ; que de voir la conduite du gouvernement, la civilité de la conversation se raffiner par degrés, et tout ce qui contribue à l’ornement de la vie humaine avancer vers sa perfection ; que d’observer la naissance, le progrès, le déclin et enfin l’extinction des empires les plus florissants, et de remarquer les vertus qui ont fait leur grandeur, et les vices qui ont causé leur ruine ; en un mot, de voir toute l’espèce humaine, depuis l’origine des temps, défiler devant nos yeux, sous ses vraies couleurs, et sans ce fard qui, de leur vivant, dérouta tant ses observateurs ? Peut-on imaginer spectacle plus magnifique, plus varié, plus intéressant ? Quel amusement des sens ou de l’imagination lui est comparable ? […]
Mais autant qu’un amusement agréable, l’histoire est une partie très instructive de la connaissance ; et une grande part de ce que nous nommons communément érudition, et que nous estimons tant, n’est autre qu’une simple familiarité des faits historiques. C’est aux hommes de lettres qu’il revient de connaître cette science en profondeur ; mais cela me semble une ignorance impardonnable, de quelque sexe ou condition que l’on soit, de ne point savoir l’histoire de son pays ni celle de la Grèce et de la Rome antiques. Une femme peut avoir des belles manières et même de la vivacité d’esprit : si son esprit est ainsi dénué, sa conversation ne pourra jamais plaire aux hommes de sens et de réflexion. […]
D’un homme qui connaît l’histoire, on peut dire un sens qu’il vit depuis le commencement du monde, et que l’écoulement des siècles accroît sans cesse sa provision de connaissances.
Il y a en outre dans cette expérience acquise grâce à l’histoire un avantage que ne possède pas celle que l’on acquiert par la pratique du monde : celui de s’instruire sur les affaires humaines sans diminuer en rien les sentiments de vertu les plus délicats. A cet égard, j’avoue que je ne connais point d’étude ou d’occupation aussi irréprochable que l’histoire. […] Les philosophes eux-mêmes sont portés à s’égarer dans les subtilités de leurs spéculations : on en a vu certains aller jusqu’à nier la réalité de toute distinction morale. Or, c’est là une remarque digne de l’attention des penseurs spéculatifs, que les historiens ont presque toujours été amis de la vertu, et l’ont représentée sous ses vraies couleurs, même lorsqu’ils se trompaient dans leurs jugements sur des personnes particulières. Il n’est jusqu’à Machiavel qui ne manifeste un vrai sentiment de vertu dans son histoire de Florence. Lorsqu’il écrit en savant politique, et dans ses raisonnements généraux, il considère l’empoissonnement, l’assassinat ou le parjure comme des artifices légitimes de pouvoir ; mais lorsqu’il écrit en historien, dans ses narrations particulières, il exprime souvent une indignation si vive contre le vice, et une approbation si chaleureuse de la vertu que je ne puis m’empêcher de lui appliquer cette remarque d’Horace : chassez la nature, même avec la plus grande indignité, elle reviendra toujours. Cette alliance des historiens en faveur de la vertu n’est, au reste, pas difficile à comprendre : quand un homme d’entreprise s’engage dans la vie et dans l’action, il est porté à considérer le caractère des hommes en relation avec l’intérêt qu’il poursuit, plutôt que leur caractère tel qu’il est effectivement ; aussi son jugement est-il faussé en chaque occasion par la violence de sa passion. A l’inverse, quand un philosophe contemple les caractères et les mœurs depuis le fond de son cabinet, la vue générale et abstraite qu’il a de ces objets de réflexion laisse son esprit si froid et impassible que les sentiments de la nature ne sauraient y trouver place, et il éprouve rarement la différence entre le vice et la vertu. L’histoire garde le juste milieu entre ces deux extrêmes en plaçant les objets dans leur vraie perspective. » (De l’étude de l’histoire, p.162-164)
« Machiavel était sans aucun doute un grand génie ; mais comme il borna son étude aux gouvernements violents et tyranniques de l’Antiquité, ou aux petites principautés de l’Italie alors en proie au désordre, ses raisonnements se sont montrés fautifs à l’extrême, surtout quand ils touchent au gouvernement monarchique, et l’on ne trouve presque aucune maxime dans son Prince qui n’ait été entièrement réfutée par l’expérience ultérieure. » (De la liberté civile, 1741) (p.227)
« Avant le siècle dernier, le commerce n’était jamais tenu pour une affaire d’Etat : c’est à peine si l’on trouve un seul auteur politique de l’Antiquité qui en fasse mention. » (De la liberté civile, 1741) (p.228)
« C’est la France qui offre l’exemple le plus remarquable de l’épanouissement du savoir sous un gouvernement absolu. Bien que ce pays n’ait jamais bénéficié d’une liberté établie, il a porté les arts et les sciences à un degré de perfection aussi élevé que n’importe quelle autre nation. Les Anglais sont peut-être de plus grands philosophes, les Italiens de meilleurs peintres et de meilleurs musiciens, les Romains furent des orateurs plus éloquents, mais les Français sont le seul peuple, à l’exception des Grecs, à avoir produit à la fois des philosophes, des poètes, des orateurs, des historiens, des peintres, des architectes, des sculpteurs et des musiciens. En matière de théâtre, ils surpassent même les Grecs, qui sont eux-mêmes bien meilleurs que les Anglais. Et pour ce qui touche à la vie commune, ils ont dans une large mesure porté à la perfection l’art le plus utile et le plus agréable de tous, l’Art de Vivre, c’est-à-dire l’art de la société et de la conversation. » (De la liberté civile, 1741) (p.231)
« On peut aujourd’hui appliquer aux monarchies civilisées l’éloge que l’on faisait autrefois des seules républiques : ce sont des gouvernements régis par les lois et non par les hommes. […] Il faut pourtant convenir que bien que les gouvernements monarchiques se soient approchés des gouvernements populaires par leur douceur et par leur stabilité, ils ne les égalent pas encore. » (p.234-235)
« La quasi-totalité des gouvernements en place à l’heure actuelle, ou dont il subsiste quelque trace dans l’histoire, ont eu pour fondement originel soit l’usurpation, soit la conquête, soit les deux, sans prétendre au juste consentement ni à la sujétion volontaire du peuple. Lorsqu’un homme habile et audacieux prend la tête d’une armée ou d’une faction, il lui est aisé, en employant parfois la violence, parfois des arguments fallacieux, d’établir sa domination sur une population même cent fois plus nombreuse que ses partisans : ayant eu soin d’interdire toute communication ouverte permettant à ses ennemis de connaître le nombre ou la puissance de ses partisans, il ne leur laisse pas le loisir de s’unir pour former un corps ennemi. Et si ceux-là qui ont servi à son usurpation viennent à désirer sa chute, l’ignorance où sont les uns des intentions des autres les maintiendra dans une crainte respectueuse, et constituera la seule raison de sa sûreté. C’est par de tels artifices que nombre de gouvernements ont été établis ; et c’est là le seul contrat originel dont ils puissent s’enorgueillir.
[…] Que décèle-t-on dans tous ces événements, sinon la force et la violence ? Où donc est l’accord mutuel et l’association volontaire dont on parle tant ? » (Du contrat originel, 1748) (p.367-368)
« Mon intention ici n’est pas de nier que le consentement populaire puisse constituer l’un des fondements légitimes du gouvernement, quand il est exercé : c’est sûrement le meilleur et le plus sacré d’entre tous. J’avance simplement qu’il n’est exercé que fort rarement à un degré quelconque et presque jamais de façon complète, et qu’il faut donc admettre que le gouvernement puisse avoir un autre fondement.
Si les hommes avaient eu de la justice un respect assez inflexible pour s’abstenir par eux-mêmes de porter atteinte à la propriété d’autrui, ils seraient demeurés pour toujours dans un état de liberté absolue, sans sujétion au magistrat ni à la société civile ; mais c’est là un état de perfection dont la nature humaine est jugée à juste titre incapable. De même, si tous les hommes avaient l’entendement assez parfait pour connaître toujours leur propre intérêt, ils ne se soumettraient jamais qu’à des formes de gouvernement établies par consentement et minutieusement examinées par tous les membres de la société ; mais cet état de perfection est là encore bien supérieur à la nature humaine. » (p.370-371)
« Si l’on demande à la raison pour quoi nous sommes obligés d’obéir au gouvernement, je répondrai sans hésiter : parce que sans cette obéissance la société ne pourrait subsister. » (p.379)
« C’est sur l’intérêt et les nécessités de la société que se fonde l’obligation générale qui nous lie au gouvernement, et c’est là une obligation très forte ; déterminer quel prince particulier ou quelle forme particulière de gouvernement nous oblige est une question souvent plus incertaine et plus douteuse. » (p.383)
« Un gouvernement établi possède un avantage infini par cela même qu’il est établi, car le gros de l’humanité est gouverné par l’autorité plus que par la raison, et ne reconnaît d’autorité qu’à ce qui se recommande de l’ancienneté. C’est pourquoi le rôle d’un sage magistrat ne sera jamais d’interférer dans ces matières, ni de tenter des expériences sur la seule foi d’arguments supposés ou d’une prétendue philosophie ; il s’inclinera au contraire devant ce qui porte l’empreinte du temps, et s’il peut essayer d’introduire certaines améliorations pour le bien public, il ajustera toujours ses innovations, autant que faire se peut, à l’ancien édifice, et conservera dans leur intégrité les principaux piliers et fondements de la constitution. » (p.640-641)
« Le gouvernement que l’on qualifie communément de libre est celui qui admet une division du pouvoir entre plusieurs organes dont l’autorité conjointe n’est pas moindre que celle d’un monarque –et la surpasse même communément- mais qui doit, dans le cours ordinaire de l’administration, agir par des lois générales et égales, connues par avance de tous ces organes et de tous leurs sujets. En ce sens, il faut avouer que la liberté est la perfection de la société civile, tout en reconnaissant que l’autorité est essentielle à son existence. » (De l’origine du gouvernement, 1777) (p.740)
-David Hume, Essais moraux, politiques et littéraires, et autres essais, PUF, coll. « Perspectives anglo-saxonnes », trad. Gilles Robel, 2001, 874 pages.
http://www.econlib.org/library/LFBooks/Hume/hmMPL.html
http://classiques.uqac.ca/classiques/Hume_david/essais_moraux_pol_lit/sept_essais_economiques/sept_essais_econo.html
« L’esprit du peuple doit être stimulé souvent pour réfréner les ambitions de la cour, et la seule crainte qu’il ne soit pas stimulé doit être entretenue pour prévenir de telles ambitions. Rien ne remplit mieux ce rôle qu’une presse libre, grâce à laquelle tout le savoir, tout l’esprit et tout le génie de notre nation peuvent être mis au service de la liberté, et chacun s’employer à sa défense. Tant que l’élément républicain de notre gouvernement saura se maintenir contre l’élément monarchique, il veillera donc naturellement à encourager la liberté de la presse, si essentielle à sa propre préservation. » (De la liberté de la presse, p.123)
« [Henri IV] prince patriote et héroïque. » (La politique peut-elle être réduite à une science ?, 1741, p.130)
« Dans un gouvernement [monarchique] électif, la succession au trône est une question dont l’intérêt est trop grand et trop général pour ne pas diviser tout le peuple en factions, si bien qu’à chaque vacance on peut redouter une guerre civile, qui est le pire des maux. » ((La politique peut-elle être réduite à une science ?, 1741) (p.134)
« Pour ma part, je serais toujours plus porté à promouvoir la modération que le zèle, même si la meilleure façon d’inspirer de la modération aux membres de chaque parti est sans doute d’accroître le zèle de chacun pour le public. […] Mais que cette modération n’étouffe en rien l’industrie et la passion avec lesquelles chaque individu se doit de poursuivre le bien de son pays. » (p.142-143)
« Mon seul souhait est de convaincre les hommes de ne point s’affronter comme s’ils se battaient pro aris & focis [« Comme s’ils défendaient leurs autels et leurs foyers »]. » (p.146)
« Rien ne paraît plus surprenant à ceux qui observent les affaires humaines d’un œil philosophique que la facilité avec laquelle le grand nombre est gouverné par le petit, et la soumission tacite avec laquelle les hommes sacrifient leurs propres sentiments et leurs propres passions à celles de leurs chefs. Si l’on cherche comment de tels prodigues s’accomplissent, on trouve que puisque la force est toujours du côté des gouvernés, les gouvernants ne peuvent s’appuyer sur rien d’autre que l’opinion. C’est donc sur l’opinion seule que se fonde le gouvernement. Une telle maxime s’applique tant aux gouvernements les plus despotiques et les plus militaires qu’aux gouvernements les plus libres et les plus populaires. » (Des principes premiers du gouvernement, 1741) (p.147)
« On n’aurait aucune raison de craindre la fureur d’un tyran si la crainte était le seul fondement de son autorité. En tant qu’individu, sa force physique n’a qu’une portée réduite, et toute la puissance qu’il possède ne peut se fonder que sur l’opinion que nous en avons, ou sur l’opinion que nous présumons que les autres en ont. » (p.150)
« Existe-t-il en vérité divertissement plus agréable pour l’esprit que de se transporter dans les âges les plus reculés, et d’observer la société humaine dans sa prime enfance faire ses premiers pas en matière d’arts et de sciences ; que de voir la conduite du gouvernement, la civilité de la conversation se raffiner par degrés, et tout ce qui contribue à l’ornement de la vie humaine avancer vers sa perfection ; que d’observer la naissance, le progrès, le déclin et enfin l’extinction des empires les plus florissants, et de remarquer les vertus qui ont fait leur grandeur, et les vices qui ont causé leur ruine ; en un mot, de voir toute l’espèce humaine, depuis l’origine des temps, défiler devant nos yeux, sous ses vraies couleurs, et sans ce fard qui, de leur vivant, dérouta tant ses observateurs ? Peut-on imaginer spectacle plus magnifique, plus varié, plus intéressant ? Quel amusement des sens ou de l’imagination lui est comparable ? […]
Mais autant qu’un amusement agréable, l’histoire est une partie très instructive de la connaissance ; et une grande part de ce que nous nommons communément érudition, et que nous estimons tant, n’est autre qu’une simple familiarité des faits historiques. C’est aux hommes de lettres qu’il revient de connaître cette science en profondeur ; mais cela me semble une ignorance impardonnable, de quelque sexe ou condition que l’on soit, de ne point savoir l’histoire de son pays ni celle de la Grèce et de la Rome antiques. Une femme peut avoir des belles manières et même de la vivacité d’esprit : si son esprit est ainsi dénué, sa conversation ne pourra jamais plaire aux hommes de sens et de réflexion. […]
D’un homme qui connaît l’histoire, on peut dire un sens qu’il vit depuis le commencement du monde, et que l’écoulement des siècles accroît sans cesse sa provision de connaissances.
Il y a en outre dans cette expérience acquise grâce à l’histoire un avantage que ne possède pas celle que l’on acquiert par la pratique du monde : celui de s’instruire sur les affaires humaines sans diminuer en rien les sentiments de vertu les plus délicats. A cet égard, j’avoue que je ne connais point d’étude ou d’occupation aussi irréprochable que l’histoire. […] Les philosophes eux-mêmes sont portés à s’égarer dans les subtilités de leurs spéculations : on en a vu certains aller jusqu’à nier la réalité de toute distinction morale. Or, c’est là une remarque digne de l’attention des penseurs spéculatifs, que les historiens ont presque toujours été amis de la vertu, et l’ont représentée sous ses vraies couleurs, même lorsqu’ils se trompaient dans leurs jugements sur des personnes particulières. Il n’est jusqu’à Machiavel qui ne manifeste un vrai sentiment de vertu dans son histoire de Florence. Lorsqu’il écrit en savant politique, et dans ses raisonnements généraux, il considère l’empoissonnement, l’assassinat ou le parjure comme des artifices légitimes de pouvoir ; mais lorsqu’il écrit en historien, dans ses narrations particulières, il exprime souvent une indignation si vive contre le vice, et une approbation si chaleureuse de la vertu que je ne puis m’empêcher de lui appliquer cette remarque d’Horace : chassez la nature, même avec la plus grande indignité, elle reviendra toujours. Cette alliance des historiens en faveur de la vertu n’est, au reste, pas difficile à comprendre : quand un homme d’entreprise s’engage dans la vie et dans l’action, il est porté à considérer le caractère des hommes en relation avec l’intérêt qu’il poursuit, plutôt que leur caractère tel qu’il est effectivement ; aussi son jugement est-il faussé en chaque occasion par la violence de sa passion. A l’inverse, quand un philosophe contemple les caractères et les mœurs depuis le fond de son cabinet, la vue générale et abstraite qu’il a de ces objets de réflexion laisse son esprit si froid et impassible que les sentiments de la nature ne sauraient y trouver place, et il éprouve rarement la différence entre le vice et la vertu. L’histoire garde le juste milieu entre ces deux extrêmes en plaçant les objets dans leur vraie perspective. » (De l’étude de l’histoire, p.162-164)
« Machiavel était sans aucun doute un grand génie ; mais comme il borna son étude aux gouvernements violents et tyranniques de l’Antiquité, ou aux petites principautés de l’Italie alors en proie au désordre, ses raisonnements se sont montrés fautifs à l’extrême, surtout quand ils touchent au gouvernement monarchique, et l’on ne trouve presque aucune maxime dans son Prince qui n’ait été entièrement réfutée par l’expérience ultérieure. » (De la liberté civile, 1741) (p.227)
« Avant le siècle dernier, le commerce n’était jamais tenu pour une affaire d’Etat : c’est à peine si l’on trouve un seul auteur politique de l’Antiquité qui en fasse mention. » (De la liberté civile, 1741) (p.228)
« C’est la France qui offre l’exemple le plus remarquable de l’épanouissement du savoir sous un gouvernement absolu. Bien que ce pays n’ait jamais bénéficié d’une liberté établie, il a porté les arts et les sciences à un degré de perfection aussi élevé que n’importe quelle autre nation. Les Anglais sont peut-être de plus grands philosophes, les Italiens de meilleurs peintres et de meilleurs musiciens, les Romains furent des orateurs plus éloquents, mais les Français sont le seul peuple, à l’exception des Grecs, à avoir produit à la fois des philosophes, des poètes, des orateurs, des historiens, des peintres, des architectes, des sculpteurs et des musiciens. En matière de théâtre, ils surpassent même les Grecs, qui sont eux-mêmes bien meilleurs que les Anglais. Et pour ce qui touche à la vie commune, ils ont dans une large mesure porté à la perfection l’art le plus utile et le plus agréable de tous, l’Art de Vivre, c’est-à-dire l’art de la société et de la conversation. » (De la liberté civile, 1741) (p.231)
« On peut aujourd’hui appliquer aux monarchies civilisées l’éloge que l’on faisait autrefois des seules républiques : ce sont des gouvernements régis par les lois et non par les hommes. […] Il faut pourtant convenir que bien que les gouvernements monarchiques se soient approchés des gouvernements populaires par leur douceur et par leur stabilité, ils ne les égalent pas encore. » (p.234-235)
« La quasi-totalité des gouvernements en place à l’heure actuelle, ou dont il subsiste quelque trace dans l’histoire, ont eu pour fondement originel soit l’usurpation, soit la conquête, soit les deux, sans prétendre au juste consentement ni à la sujétion volontaire du peuple. Lorsqu’un homme habile et audacieux prend la tête d’une armée ou d’une faction, il lui est aisé, en employant parfois la violence, parfois des arguments fallacieux, d’établir sa domination sur une population même cent fois plus nombreuse que ses partisans : ayant eu soin d’interdire toute communication ouverte permettant à ses ennemis de connaître le nombre ou la puissance de ses partisans, il ne leur laisse pas le loisir de s’unir pour former un corps ennemi. Et si ceux-là qui ont servi à son usurpation viennent à désirer sa chute, l’ignorance où sont les uns des intentions des autres les maintiendra dans une crainte respectueuse, et constituera la seule raison de sa sûreté. C’est par de tels artifices que nombre de gouvernements ont été établis ; et c’est là le seul contrat originel dont ils puissent s’enorgueillir.
[…] Que décèle-t-on dans tous ces événements, sinon la force et la violence ? Où donc est l’accord mutuel et l’association volontaire dont on parle tant ? » (Du contrat originel, 1748) (p.367-368)
« Mon intention ici n’est pas de nier que le consentement populaire puisse constituer l’un des fondements légitimes du gouvernement, quand il est exercé : c’est sûrement le meilleur et le plus sacré d’entre tous. J’avance simplement qu’il n’est exercé que fort rarement à un degré quelconque et presque jamais de façon complète, et qu’il faut donc admettre que le gouvernement puisse avoir un autre fondement.
Si les hommes avaient eu de la justice un respect assez inflexible pour s’abstenir par eux-mêmes de porter atteinte à la propriété d’autrui, ils seraient demeurés pour toujours dans un état de liberté absolue, sans sujétion au magistrat ni à la société civile ; mais c’est là un état de perfection dont la nature humaine est jugée à juste titre incapable. De même, si tous les hommes avaient l’entendement assez parfait pour connaître toujours leur propre intérêt, ils ne se soumettraient jamais qu’à des formes de gouvernement établies par consentement et minutieusement examinées par tous les membres de la société ; mais cet état de perfection est là encore bien supérieur à la nature humaine. » (p.370-371)
« Si l’on demande à la raison pour quoi nous sommes obligés d’obéir au gouvernement, je répondrai sans hésiter : parce que sans cette obéissance la société ne pourrait subsister. » (p.379)
« C’est sur l’intérêt et les nécessités de la société que se fonde l’obligation générale qui nous lie au gouvernement, et c’est là une obligation très forte ; déterminer quel prince particulier ou quelle forme particulière de gouvernement nous oblige est une question souvent plus incertaine et plus douteuse. » (p.383)
« Un gouvernement établi possède un avantage infini par cela même qu’il est établi, car le gros de l’humanité est gouverné par l’autorité plus que par la raison, et ne reconnaît d’autorité qu’à ce qui se recommande de l’ancienneté. C’est pourquoi le rôle d’un sage magistrat ne sera jamais d’interférer dans ces matières, ni de tenter des expériences sur la seule foi d’arguments supposés ou d’une prétendue philosophie ; il s’inclinera au contraire devant ce qui porte l’empreinte du temps, et s’il peut essayer d’introduire certaines améliorations pour le bien public, il ajustera toujours ses innovations, autant que faire se peut, à l’ancien édifice, et conservera dans leur intégrité les principaux piliers et fondements de la constitution. » (p.640-641)
« Le gouvernement que l’on qualifie communément de libre est celui qui admet une division du pouvoir entre plusieurs organes dont l’autorité conjointe n’est pas moindre que celle d’un monarque –et la surpasse même communément- mais qui doit, dans le cours ordinaire de l’administration, agir par des lois générales et égales, connues par avance de tous ces organes et de tous leurs sujets. En ce sens, il faut avouer que la liberté est la perfection de la société civile, tout en reconnaissant que l’autorité est essentielle à son existence. » (De l’origine du gouvernement, 1777) (p.740)
-David Hume, Essais moraux, politiques et littéraires, et autres essais, PUF, coll. « Perspectives anglo-saxonnes », trad. Gilles Robel, 2001, 874 pages.