https://journals.openedition.org/clio/252
"L'interdit religieux de l'inversion des habillements sous-tend et soutient toutes les formes de la division sexuelle qu'elle soit celle des apparences, des rôles, des fonctions ou des fantasmes.
Le Deutéronome (22-5) est formel : « une femme ne portera pas un costume masculin, et un homme ne mettra pas un vêtement de femme ; quiconque agit ainsi est en abomination à Yahvé ton Dieu ». Il n'est sans doute pas anodin que Dieu ici, par la bouche de Moïse, s'adresse d'abord aux femmes, comme si pour elles une telle faute était à la fois plus probable et plus désirable. Lié intimement à la chair qu'il recouvre, le vêtement est dans la Bible le signe et la garantie de la distinction des corps sexués. Il définit l'autonomie des genres mais il peut plus encore – et c'est la lecture qu'en font les apôtres et les pères de l'Église – signifier des rapports de pouvoir. Le voilement peut bien être un geste de consécration et d'oblation (et la nudité avoir des implications pénitentielles ou maléfiques9), il déclare, au moins dans les assemblées, la sujétion des femmes et leur différence. « Si donc une femme ne met pas de voile, alors qu'elle se coupe les cheveux ! » dit avec ironie saint Paul dans la Première Épître aux Corinthiens (11, v. 6). La nécessité des signes distinctifs est pour lui intangible et s'il prescrit à l'homme de ne pas se couvrir la tête (et de garder ses cheveux courts), « c'est parce qu'il est l'image et le reflet de Dieu ; quant à la femme, elle est le reflet de l'homme » (v. 7).
Les subtilités de ces textes (et de quelques autres) ont fait l'objet de commentaires infinis10 dès l'Antiquité tardive, mais c'est au pied de la lettre qu'ils sont compris au bas Moyen Âge et aux Temps modernes. Néanmoins s'ils sont réutilisés tels quels dans toutes les condamnations de la virilisation des femmes, ils s'accompagnent d'arguments théoriques d'ordre social et moral qui en accroissent le poids et en révèlent peut-être la contestation latente dans la pratique. Claude Noirot, par exemple, dans son Origine des masques, paru en 1609 à Langres, souligne le caractère sacrilège du transvestisme, mais aussi les risques de subversion politique et de destruction morale que sa pratique pourrait entraîner, et cela selon un ordre du discours qui, en recourant à l'autorité conjointe des philosophes et des pères de l'Église, semble ne plus donner la prééminence à l'interdit religieux."
"Sans revenir sur la place de plus en plus grande prise dans le procès de la Pucelle par ce qui fut le quatrième chef d'accusation, il est bon de se souvenir qu'elle fut convaincue de transgresser « la loi divine, la sainte écriture et les ordonnances canoniques » en se vêtant en homme. Aussi les auteurs de sa réhabilitation comme beaucoup d'autres théologiens (Gerson, Richer, Barry, etc.), doivent-ils argumenter sur la légitimité de son accoutrement (risques d'un viol, exemples antérieurs de saintes ermites et de femmes assiégées, volonté divine) et recourir à l'arbitraire tout puissant de Dieu, capable de confier le salut de la France aux soins d'un être qui est vil (une femme) et, qui plus est, a choisi de se vêtir durablement d'un habit usurpé (seconde vilenie). Ce malaise survit dans les œuvres de thuriféraires aussi divers que Christine de Pisan, Antoine Dufour ou François Vinchant."
"La référence conclusive à la Somme Théologique de saint Thomas d'Aquin rappelle qu'il y a péché mortel à « user d'habit viril quand on est une femme »."
"La perception asymétrique du transvestisme n'est pas un fait réservé à l'Ancien Régime et sa longue durée s'explique par le maintien d'une stricte hiérarchisation des sexes et des vêtures et par les certitudes qui accompagnent la supériorité masculine : un état aussi enviable et les insignes vestimentaires qui en font l'exhibition ne peuvent qu'être désirés par celles qui en sont privées ! Preneuses de culottes et/ou de pseudonymes virils en ont elles-aussi été convaincues jusqu'à une date récente, tout comme celles qui se contentèrent d'adopter seulement un ou deux accessoires jugés masculins. Des détails de modes (une redingote boutonnée, des souliers plats, deux montres) suffisent aux écrivains de la fin du XVIIIe siècle pour parler d'une dangereuse masculinisation des femmes et affirmer, comme le polygraphe Mercier, que « plus une femme ressemblera à un homme, plus elle perdra à coup sûr »."
"Plusieurs traits caractérisent le costume féminin, c'est-à-dire un vêtement codifié (inscrit dans la coutume) que les particularités innombrables de l'âge, du statut, de la fortune, de la géographie, n'arrivent pas à modifier dans ses principes. Non seulement – comme il a déjà été dit – ce costume est « ouvert » (trait qu'il partage avec d'autres vêtements fétichisés hérités du passé comme les robes de justice et d'église, et de nos jours les produits de la haute-couture), mais l'accessibilité du corps féminin qu'il autorise n'est pas le seul signe de la faiblesse permanente du sexe... faible. Elle est propre aux parures vite soulevées, celles des femmes, celles aussi des petits enfants, filles comme garçons, ces derniers ne faisant leur « prise de culotte » que vers l'âge de raison et cela jusqu'au début de ce siècle. La pénétrabilité des tenues féminines s'accompagne d'une autre marque infantilisante de fragilité : l'absence d'attaches solides et le recours systématique à l'épinglage et, accessoirement, au laçage, comme modes de fixation de presque toutes les pièces vestimentaires.
L'absence de boutons, qui a longtemps caractérisé les habillements féminins populaires (et ceux des femmes amish aujourd'hui), n'est pas un mince détail : le recours aux épingles explique nombre de rituels amoureux et magiques, mais surtout il fragilise un sexe et accroît d'autant l'assurance de l'autre. Grâce à leurs boutons, les hommes n'ont pas besoin de contraindre leurs mouvements ni de veiller à se rajuster sans cesse."
"Le caractère proprement mortifère du costume féminin (il est dénoncé comme tel par quelques médecins dès le XVIIIe siècle) fournit, semble-t'il, une des raisons majeures (mais non suffisante) du transvestisme féminin : la commodité relativement plus grande des vêtements d'hommes pour qui veut se mouvoir sans perdre agilité et... dignité. D'autres facteurs d'ordre pratique doivent être mis en valeur, que George Sand fait découvrir et en partie comprendre lorsqu'elle explique pourquoi elle dut mener par deux fois une « vie de gamin » et comment elle fit ainsi l'expérience sociale de la différence des sexes.
L'impécuniosité de la jeune Berrichonne quand elle débarque à Paris à l'hiver 1830-1831 est le premier facteur qu'elle met en avant : sa garde-robe de femme, fragile et coûteuse, s'use trop vite sur le pavé de la capitale et, ne pouvant la remplacer (mais elle a les moyens de se faire faire une tenue masculine, ce que ne peuvent se permettre toutes les candidates au transvestisme), elle adopte redingote, pantalon, gilet, chapeau, cravate et bottes. La commodité de cette panoplie est invoquée en second lieu (« solide sur le trottoir, je voltigeais d'un bout de Paris à l'autre ») et l'exposé de cet argument laisse percer un plaisir physique. Mais c'est subrepticement qu'elle reconnaît sa jubilation, là où l'érotisme de tissus et de coupes autres redouble les jouissances de la transgression sociale. Il est frappant en effet que le récit du changement d'habit soit suivi de longues considérations sur ce que représente cette performance (au sens premier de réussite comme au sens de mise en scène d'un geste esthétique). La fierté s'y mêle à une étrange volonté de banaliser sa prouesse. Sand affirme que « pour ne pas être remarquée en homme, il faut avoir déjà l'habitude de ne pas se faire remarquer en femme ». On ne passerait donc pour un homme quand on est femme que lorsqu'on a les qualités morales pour le faire et notamment de la modestie. Comme si l'impersonator ne voulait pas être taxée d'imposture et d'exhibitionnisme, deux reproches présents dans toutes les dénonciations adressées aux transvesties.
Minimisant volontairement, par prudence ou par coquetterie, le caractère scandaleux de son geste, George Sand tient d'ailleurs à souligner la brièveté de son adoption d'habits masculins (« un temps très passager et très accidentel, bien qu'on ait dit que j'avais passé plusieurs années ainsi »). Les plaisirs qu'autorise son « déguisement » ne sont invoqués qu'au terme de ce plaidoyer et par la réminiscence des salles closes de la vie littéraire parisienne : restaurants, salons et théâtre. Alors seulement sont décrites les satisfactions d'un incognito insoupçonné et les joies des multiples quiproquos qu'il suscite. Plus subtilement court dans cette reconstruction raisonnée (comme dans toute autobiographie), le regret sous-jacent d'une intégrité perdue, ici proprement androgyne, celle que lui offrit, au temps de l'enfance, un « travestissement » garçonnier, et qu'elle avait décrite dans un autre passage de l'Histoire de ma vie.
Malgré là aussi des légitimations a posteriori (souci d'hygiène et excentricité de son précepteur, modèle donné par la fille d'un voisin), le rappel des premières années fait état du bonheur de galoper en garçon, libre dans ses habits. Mais il importe de noter que ce premier épisode de transvestisme, tout comme celui de l'âge adulte, n'a été possible que grâce aux femmes de la famille, femmes fortes s'il en est : la grand'mère, puis la mère. La première a laissé faire, en mémoire du fils perdu ; la seconde a suggéré un modèle de comportement qui avait été le sien quand, jeune mariée, elle allait au théâtre avec sa sœur et leurs maris. Les femmes de la famille Dupin font la preuve de traditions de transvestisme au féminin, que la médicalisation-martialisation propre à l'époque révolutionnaire, a certes encouragées, mais qui étaient assez vivaces pour autoriser, dans un monde de nouveau réfractaire à la virilisation des femmes, un spectaculaire passage à l'acte : fruit de la nécessité même pour Sand mais aussi sans doute d'un goût personnel dont œuvres et vie offrent d'autres exemples sans l'avouer toujours."
-Nicole Pellegrin, « Le genre et l’habit. Figures du transvestisme féminin sous l’Ancien Régime », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 10 | 1999, mis en ligne le 29 mai 2006, consulté le 15 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/clio/252 ; DOI : 10.4000/clio.252
"L'interdit religieux de l'inversion des habillements sous-tend et soutient toutes les formes de la division sexuelle qu'elle soit celle des apparences, des rôles, des fonctions ou des fantasmes.
Le Deutéronome (22-5) est formel : « une femme ne portera pas un costume masculin, et un homme ne mettra pas un vêtement de femme ; quiconque agit ainsi est en abomination à Yahvé ton Dieu ». Il n'est sans doute pas anodin que Dieu ici, par la bouche de Moïse, s'adresse d'abord aux femmes, comme si pour elles une telle faute était à la fois plus probable et plus désirable. Lié intimement à la chair qu'il recouvre, le vêtement est dans la Bible le signe et la garantie de la distinction des corps sexués. Il définit l'autonomie des genres mais il peut plus encore – et c'est la lecture qu'en font les apôtres et les pères de l'Église – signifier des rapports de pouvoir. Le voilement peut bien être un geste de consécration et d'oblation (et la nudité avoir des implications pénitentielles ou maléfiques9), il déclare, au moins dans les assemblées, la sujétion des femmes et leur différence. « Si donc une femme ne met pas de voile, alors qu'elle se coupe les cheveux ! » dit avec ironie saint Paul dans la Première Épître aux Corinthiens (11, v. 6). La nécessité des signes distinctifs est pour lui intangible et s'il prescrit à l'homme de ne pas se couvrir la tête (et de garder ses cheveux courts), « c'est parce qu'il est l'image et le reflet de Dieu ; quant à la femme, elle est le reflet de l'homme » (v. 7).
Les subtilités de ces textes (et de quelques autres) ont fait l'objet de commentaires infinis10 dès l'Antiquité tardive, mais c'est au pied de la lettre qu'ils sont compris au bas Moyen Âge et aux Temps modernes. Néanmoins s'ils sont réutilisés tels quels dans toutes les condamnations de la virilisation des femmes, ils s'accompagnent d'arguments théoriques d'ordre social et moral qui en accroissent le poids et en révèlent peut-être la contestation latente dans la pratique. Claude Noirot, par exemple, dans son Origine des masques, paru en 1609 à Langres, souligne le caractère sacrilège du transvestisme, mais aussi les risques de subversion politique et de destruction morale que sa pratique pourrait entraîner, et cela selon un ordre du discours qui, en recourant à l'autorité conjointe des philosophes et des pères de l'Église, semble ne plus donner la prééminence à l'interdit religieux."
"Sans revenir sur la place de plus en plus grande prise dans le procès de la Pucelle par ce qui fut le quatrième chef d'accusation, il est bon de se souvenir qu'elle fut convaincue de transgresser « la loi divine, la sainte écriture et les ordonnances canoniques » en se vêtant en homme. Aussi les auteurs de sa réhabilitation comme beaucoup d'autres théologiens (Gerson, Richer, Barry, etc.), doivent-ils argumenter sur la légitimité de son accoutrement (risques d'un viol, exemples antérieurs de saintes ermites et de femmes assiégées, volonté divine) et recourir à l'arbitraire tout puissant de Dieu, capable de confier le salut de la France aux soins d'un être qui est vil (une femme) et, qui plus est, a choisi de se vêtir durablement d'un habit usurpé (seconde vilenie). Ce malaise survit dans les œuvres de thuriféraires aussi divers que Christine de Pisan, Antoine Dufour ou François Vinchant."
"La référence conclusive à la Somme Théologique de saint Thomas d'Aquin rappelle qu'il y a péché mortel à « user d'habit viril quand on est une femme »."
"La perception asymétrique du transvestisme n'est pas un fait réservé à l'Ancien Régime et sa longue durée s'explique par le maintien d'une stricte hiérarchisation des sexes et des vêtures et par les certitudes qui accompagnent la supériorité masculine : un état aussi enviable et les insignes vestimentaires qui en font l'exhibition ne peuvent qu'être désirés par celles qui en sont privées ! Preneuses de culottes et/ou de pseudonymes virils en ont elles-aussi été convaincues jusqu'à une date récente, tout comme celles qui se contentèrent d'adopter seulement un ou deux accessoires jugés masculins. Des détails de modes (une redingote boutonnée, des souliers plats, deux montres) suffisent aux écrivains de la fin du XVIIIe siècle pour parler d'une dangereuse masculinisation des femmes et affirmer, comme le polygraphe Mercier, que « plus une femme ressemblera à un homme, plus elle perdra à coup sûr »."
"Plusieurs traits caractérisent le costume féminin, c'est-à-dire un vêtement codifié (inscrit dans la coutume) que les particularités innombrables de l'âge, du statut, de la fortune, de la géographie, n'arrivent pas à modifier dans ses principes. Non seulement – comme il a déjà été dit – ce costume est « ouvert » (trait qu'il partage avec d'autres vêtements fétichisés hérités du passé comme les robes de justice et d'église, et de nos jours les produits de la haute-couture), mais l'accessibilité du corps féminin qu'il autorise n'est pas le seul signe de la faiblesse permanente du sexe... faible. Elle est propre aux parures vite soulevées, celles des femmes, celles aussi des petits enfants, filles comme garçons, ces derniers ne faisant leur « prise de culotte » que vers l'âge de raison et cela jusqu'au début de ce siècle. La pénétrabilité des tenues féminines s'accompagne d'une autre marque infantilisante de fragilité : l'absence d'attaches solides et le recours systématique à l'épinglage et, accessoirement, au laçage, comme modes de fixation de presque toutes les pièces vestimentaires.
L'absence de boutons, qui a longtemps caractérisé les habillements féminins populaires (et ceux des femmes amish aujourd'hui), n'est pas un mince détail : le recours aux épingles explique nombre de rituels amoureux et magiques, mais surtout il fragilise un sexe et accroît d'autant l'assurance de l'autre. Grâce à leurs boutons, les hommes n'ont pas besoin de contraindre leurs mouvements ni de veiller à se rajuster sans cesse."
"Le caractère proprement mortifère du costume féminin (il est dénoncé comme tel par quelques médecins dès le XVIIIe siècle) fournit, semble-t'il, une des raisons majeures (mais non suffisante) du transvestisme féminin : la commodité relativement plus grande des vêtements d'hommes pour qui veut se mouvoir sans perdre agilité et... dignité. D'autres facteurs d'ordre pratique doivent être mis en valeur, que George Sand fait découvrir et en partie comprendre lorsqu'elle explique pourquoi elle dut mener par deux fois une « vie de gamin » et comment elle fit ainsi l'expérience sociale de la différence des sexes.
L'impécuniosité de la jeune Berrichonne quand elle débarque à Paris à l'hiver 1830-1831 est le premier facteur qu'elle met en avant : sa garde-robe de femme, fragile et coûteuse, s'use trop vite sur le pavé de la capitale et, ne pouvant la remplacer (mais elle a les moyens de se faire faire une tenue masculine, ce que ne peuvent se permettre toutes les candidates au transvestisme), elle adopte redingote, pantalon, gilet, chapeau, cravate et bottes. La commodité de cette panoplie est invoquée en second lieu (« solide sur le trottoir, je voltigeais d'un bout de Paris à l'autre ») et l'exposé de cet argument laisse percer un plaisir physique. Mais c'est subrepticement qu'elle reconnaît sa jubilation, là où l'érotisme de tissus et de coupes autres redouble les jouissances de la transgression sociale. Il est frappant en effet que le récit du changement d'habit soit suivi de longues considérations sur ce que représente cette performance (au sens premier de réussite comme au sens de mise en scène d'un geste esthétique). La fierté s'y mêle à une étrange volonté de banaliser sa prouesse. Sand affirme que « pour ne pas être remarquée en homme, il faut avoir déjà l'habitude de ne pas se faire remarquer en femme ». On ne passerait donc pour un homme quand on est femme que lorsqu'on a les qualités morales pour le faire et notamment de la modestie. Comme si l'impersonator ne voulait pas être taxée d'imposture et d'exhibitionnisme, deux reproches présents dans toutes les dénonciations adressées aux transvesties.
Minimisant volontairement, par prudence ou par coquetterie, le caractère scandaleux de son geste, George Sand tient d'ailleurs à souligner la brièveté de son adoption d'habits masculins (« un temps très passager et très accidentel, bien qu'on ait dit que j'avais passé plusieurs années ainsi »). Les plaisirs qu'autorise son « déguisement » ne sont invoqués qu'au terme de ce plaidoyer et par la réminiscence des salles closes de la vie littéraire parisienne : restaurants, salons et théâtre. Alors seulement sont décrites les satisfactions d'un incognito insoupçonné et les joies des multiples quiproquos qu'il suscite. Plus subtilement court dans cette reconstruction raisonnée (comme dans toute autobiographie), le regret sous-jacent d'une intégrité perdue, ici proprement androgyne, celle que lui offrit, au temps de l'enfance, un « travestissement » garçonnier, et qu'elle avait décrite dans un autre passage de l'Histoire de ma vie.
Malgré là aussi des légitimations a posteriori (souci d'hygiène et excentricité de son précepteur, modèle donné par la fille d'un voisin), le rappel des premières années fait état du bonheur de galoper en garçon, libre dans ses habits. Mais il importe de noter que ce premier épisode de transvestisme, tout comme celui de l'âge adulte, n'a été possible que grâce aux femmes de la famille, femmes fortes s'il en est : la grand'mère, puis la mère. La première a laissé faire, en mémoire du fils perdu ; la seconde a suggéré un modèle de comportement qui avait été le sien quand, jeune mariée, elle allait au théâtre avec sa sœur et leurs maris. Les femmes de la famille Dupin font la preuve de traditions de transvestisme au féminin, que la médicalisation-martialisation propre à l'époque révolutionnaire, a certes encouragées, mais qui étaient assez vivaces pour autoriser, dans un monde de nouveau réfractaire à la virilisation des femmes, un spectaculaire passage à l'acte : fruit de la nécessité même pour Sand mais aussi sans doute d'un goût personnel dont œuvres et vie offrent d'autres exemples sans l'avouer toujours."
-Nicole Pellegrin, « Le genre et l’habit. Figures du transvestisme féminin sous l’Ancien Régime », Clio. Histoire‚ femmes et sociétés [En ligne], 10 | 1999, mis en ligne le 29 mai 2006, consulté le 15 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/clio/252 ; DOI : 10.4000/clio.252