https://journals.openedition.org/questes/81
"Qui dit normes dit également manquements et contournements."
"Le terme travestissement peut en effet revêtir deux significations : la première, « action ou manière de travestir », est synonyme de déguisement ; la seconde, « déformation, parodie », désigne une transformation mensongère, qui vise à défigurer un aspect. En revanche, le terme transvestisme, emprunté à l’anglais, s’utilise pour désigner plus particulièrement le travestissement en personne de l’autre sexe : on parle aussi de « travestissement transgenre ». L’exemple de travestissement le plus connu, et le plus débattu, est celui de Jeanne d’Arc, dont les pratiques vestimentaires ont joué un rôle lors de sa condamnation : mais s’agit-il là d’un événement isolé ou, au contraire, d’un fait révélant des pratiques relativement bien acceptées par la société de l’époque ? Il faut noter que l’apparition du vêtement court pour les hommes, à la fin du XIVe siècle, accentue la différence sexuée entre les individus. Tandis que les femmes conservent une robe longue, les hommes adoptent des chausses moulantes et un manteau court – hormis pour les hommes de lois et les « sages » qui conservent le vêtement de dessus long. Les hommes exhibent leurs jambes, les femmes les cachent : la différenciation des sexes est alors rendue visible par le vêtement, et certains habits, comme les braies ou les chausses, prennent un caractère presque symbolique."
"C’est d’ailleurs la volonté de protection qui motive le port de l’habit masculin dans les récits de voyage. On le retrouve, toujours dans le Journal d’un Bourgeois de Paris, à l’occasion du récit de la vie de Claude des Armoises, la « fausse Jeanne », traînée en justice en 1440 pour imposture. Elle justifie la nécessité de son travestissement par les dangers d’un pèlerinage à Rome. Or le bourgeois semble davantage choqué par le fait qu’elle ait frappé sa mère que par son engagement comme soldat dans les troupes papales d’Eugène IV. Le port volontaire du vêtement masculin n’est ainsi pas forcément condamné, surtout lorsqu’il s’agit de protéger le corps féminin."
"Par opposition, dans les représentations qui en sont données, le transvestisme masculin tend généralement à la luxure, et non à la protection. Cette situation, qui porte facilement à rire dans la littérature, est dans la réalité très mal tolérée par la société, qui y voit une confusion des rôles. L’homme qui se travestit en femme ne se contente pas de se déviriliser, il se féminise, renvoyant ainsi aux craintes de désordre social que suscitent les pratiques sodomites : l’homme qui abandonne ses attributions masculines s’expose à une condamnation et une répression bien plus féroces que la femme qui se les approprie."
"Dans la réalité également, le transvestisme masculin ne semble avoir d’autre but que la sexualité, et sert généralement un type de prostitution jugé particulièrement immoral. Si, à ma connaissance, aucun texte législatif laïque n’interdit le travestissement en femme, la morale religieuse, en revanche, le désapprouve fortement, et l’interdiction du transvestisme fait l’objet d’une législation ecclésiastique. Dans les faits, et hors de certaines situations « encadrées » (comme la fête de l’âne ou les rites carnavalesques), la prise de l’habit féminin mène bien souvent à l’accusation de sodomie. En témoignent des procès, comme celui, tenu à Reims en 1372, d’un dénommé Raymond, jugé et condamné pour travestissement en femme et prostitution à la suite d’une plainte déposée par un client furieux de s’être laissé trompé par l’apparence. Contrairement au transvestisme féminin, qui se veut protecteur et peut donc être accepté dans certaines circonstances en dépit de l’interdiction proférée par le Deutéronome, le transvestisme masculin est donc frappé par un interdit à la fois religieux et social, car son but est essentiellement la luxure."
-Marie de Rasse, « Travestissement et transvestisme féminin à la fin du Moyen Âge », Questes [En ligne], 25 | 2013, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 25 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/questes/81 ; DOI : 10.4000/questes.81
"Qui dit normes dit également manquements et contournements."
"Le terme travestissement peut en effet revêtir deux significations : la première, « action ou manière de travestir », est synonyme de déguisement ; la seconde, « déformation, parodie », désigne une transformation mensongère, qui vise à défigurer un aspect. En revanche, le terme transvestisme, emprunté à l’anglais, s’utilise pour désigner plus particulièrement le travestissement en personne de l’autre sexe : on parle aussi de « travestissement transgenre ». L’exemple de travestissement le plus connu, et le plus débattu, est celui de Jeanne d’Arc, dont les pratiques vestimentaires ont joué un rôle lors de sa condamnation : mais s’agit-il là d’un événement isolé ou, au contraire, d’un fait révélant des pratiques relativement bien acceptées par la société de l’époque ? Il faut noter que l’apparition du vêtement court pour les hommes, à la fin du XIVe siècle, accentue la différence sexuée entre les individus. Tandis que les femmes conservent une robe longue, les hommes adoptent des chausses moulantes et un manteau court – hormis pour les hommes de lois et les « sages » qui conservent le vêtement de dessus long. Les hommes exhibent leurs jambes, les femmes les cachent : la différenciation des sexes est alors rendue visible par le vêtement, et certains habits, comme les braies ou les chausses, prennent un caractère presque symbolique."
"C’est d’ailleurs la volonté de protection qui motive le port de l’habit masculin dans les récits de voyage. On le retrouve, toujours dans le Journal d’un Bourgeois de Paris, à l’occasion du récit de la vie de Claude des Armoises, la « fausse Jeanne », traînée en justice en 1440 pour imposture. Elle justifie la nécessité de son travestissement par les dangers d’un pèlerinage à Rome. Or le bourgeois semble davantage choqué par le fait qu’elle ait frappé sa mère que par son engagement comme soldat dans les troupes papales d’Eugène IV. Le port volontaire du vêtement masculin n’est ainsi pas forcément condamné, surtout lorsqu’il s’agit de protéger le corps féminin."
"Par opposition, dans les représentations qui en sont données, le transvestisme masculin tend généralement à la luxure, et non à la protection. Cette situation, qui porte facilement à rire dans la littérature, est dans la réalité très mal tolérée par la société, qui y voit une confusion des rôles. L’homme qui se travestit en femme ne se contente pas de se déviriliser, il se féminise, renvoyant ainsi aux craintes de désordre social que suscitent les pratiques sodomites : l’homme qui abandonne ses attributions masculines s’expose à une condamnation et une répression bien plus féroces que la femme qui se les approprie."
"Dans la réalité également, le transvestisme masculin ne semble avoir d’autre but que la sexualité, et sert généralement un type de prostitution jugé particulièrement immoral. Si, à ma connaissance, aucun texte législatif laïque n’interdit le travestissement en femme, la morale religieuse, en revanche, le désapprouve fortement, et l’interdiction du transvestisme fait l’objet d’une législation ecclésiastique. Dans les faits, et hors de certaines situations « encadrées » (comme la fête de l’âne ou les rites carnavalesques), la prise de l’habit féminin mène bien souvent à l’accusation de sodomie. En témoignent des procès, comme celui, tenu à Reims en 1372, d’un dénommé Raymond, jugé et condamné pour travestissement en femme et prostitution à la suite d’une plainte déposée par un client furieux de s’être laissé trompé par l’apparence. Contrairement au transvestisme féminin, qui se veut protecteur et peut donc être accepté dans certaines circonstances en dépit de l’interdiction proférée par le Deutéronome, le transvestisme masculin est donc frappé par un interdit à la fois religieux et social, car son but est essentiellement la luxure."
-Marie de Rasse, « Travestissement et transvestisme féminin à la fin du Moyen Âge », Questes [En ligne], 25 | 2013, mis en ligne le 01 janvier 2014, consulté le 25 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/questes/81 ; DOI : 10.4000/questes.81