"La croyance est tenue pour une faiblesse. Pourtant, même si on l’envisage seulement pour sa valeur de connaissance elle est loin d’être homogène, et connaît divers régimes. On ne confondra pas un « je crois que » – il va pleuvoir demain – croyance empirique, avec un « je crois à » – la théorie du big-bang – croyance intellectuelle, et encore plus haut sur l’échelle, un « je crois en », croyance morale – je crois en toi, en vous, en Jésus-Christ. Il convient donc de distinguer des nuances dans la croyance. Une simple conjecture n’est ni une certitude ni une profonde conviction dont on ne démordra pas. Une opinion qui n’engage à rien n’est pas une profession de foi qui engage une existence. Il existe donc comme un arc-en-ciel de modalités du croire qui se glissent dans la plupart des actes de la vie et souvent les plus importants."
"[Le sacré] s’éprouve et s’indique comme ce qui est « indisponible » : lieu, construction, statue, personne ou symbole. Quelle que soit sa concrétisation, il impose le respect, l’arrêt, la mise à part, l’intouchabilité qui le distingue du profane ordinaire et quotidien. Dès la préhistoire se repèrent des lieux ou des choses sacrées. « On ne connait pas de société, fût-elle officiellement athée, qui n’ait en son sein un point de sacralité légitimant le sacrifice et interdisant le sacrilège »."
"Le sacré a une fonction magnétique ; un lieu sacralisé c’est toujours un point de ralliement, un but de pèlerinage, à chaque mouvance le sien."
"Appartient au politique ce qui est institué pour faire barrage à l’entropie, à la dissipation des liens, à l’éclatement du corps social en électrons libres. C’est le principe symphonique capable d’instaurer une convergence suffisante entre des individus qui ne se ressemblent qu’en partie et souvent même se détestent."
"Il n’y a pas d’entre soi humain (durable) qui ne s’appuie sur une référence extérieure ou transcendante. Entendons bien, il ne dit pas : il y a des collectifs humains et une fois constitués, il leur faut des ouvertures célestes qui viennent les consolider. C’est du même geste que les collectifs s’agrègent et se croient témoins ou enfants d’un sur-monde quelconque. Le transcendant fonde l’immanent. Ce transcendant peut-être un héros fondateur, un mort exemplaire, un mythe d’origine, une promesse eschatologique, un texte « sacré », un lieu de mémoire, une bataille mythique, une idée régulatrice (comme celle de République ou hier de Révolution). Il faut quelque chose qui sacralise l’espace et le temps social et galvanise les énergies. Le principe de cohésion des groupes sociaux relève d’une croyance partagée. Croyance, c’est-à-dire adhésion à quelque chose, être ou vie, qui, surchargé de sens, n’est pas/plus empiriquement vérifiable mais qui soulève le cœur et mobilise les émotions."
"Régis Debray distingue quatre types d’histoire. L’histoire objet d’étude, celle des « fouilleurs d’archives », l’histoire-science des professeurs et des chercheurs. L’histoire objet de méditation. Celle des philosophes, disons de Vico à Marx, en passant par Hegel. C’est l’histoire de l’humanité comme un seul peuple, dont on attend des leçons et la découverte d’un sens. L’histoire, objet de consommation. La plus populaire, celle des animateurs de télévision, des sites classés et des promeneurs du dimanche. Celle du tourisme local, du patrimoine qui donne « des racines et des ailes » ; elle suscite une curiosité de sympathie et peu d’inquiétude.
Régis Debray propose d’ajouter un autre type qu’il appelle l’histoire comme objet d’imagination. C’est l’histoire entraînante, celle qui rassemble, convoque, mobilise. « Elle donne du cœur au ventre, élève ses envoûtés au-dessus d’eux-mêmes, tout en leur assurant pour l’avenir des larmes et du sang… C’est l’histoire qui ressurgit au Kremlin quand la Wehrmacht est dans les faubourgs de Moscou, et à Westminster quand Londres a la Luftwaffe au-dessus du toit » ; celle qui conduit à Londres un général « parce qu’il se fait une certaine idée (imaginaire) de la France ». C’est l’histoire qui suscite « un rêve éveillé qui ne doute de rien… et… fait marcher parce que[le sujet] marche à l’admiration, et non à la débine, au frisson plus qu’à la logique, au mythe plus qu’à la loupe ». Cette écriture de l’histoire est mieux entre les mains des écrivains que des intellectuels : ils sont plus doués pour les affaires de cœur et se fient plus à l’émoi qu’à l’idée. C’est une histoire sentimentale qui mélange le réel et la fiction. C’est là, bien sûr, un péché pour l’historien sérieux, mais peut-être que l’engagement historique se nourrit de ce mélange. Ce type d’histoire est en déclin : la scientificité et le « moi-je » contemporain s’épaulent pour le minorer. D’un côté, le chacun pour soi interdit les unions sacrées (elles ne vont pas sans renoncements individuels) et de l’autre, puisque les unions sacrées sont le produit d’une imagerie sentimentale, l’histoire rigoureuse n’en veut pas."
"Le théologico-politique est indépassable mais son élément imaginaire doit rester maîtrisé, sous contrôle et dans certaines limites."
-Gérard Courtois, « Régis Debray et le Théologico-Politique », Droit et cultures [En ligne], 76 | 2018/2, mis en ligne le 15 octobre 2018, consulté le 04 juin 2021. URL : http://journals.openedition.org/droitcultures/4910
"[Le sacré] s’éprouve et s’indique comme ce qui est « indisponible » : lieu, construction, statue, personne ou symbole. Quelle que soit sa concrétisation, il impose le respect, l’arrêt, la mise à part, l’intouchabilité qui le distingue du profane ordinaire et quotidien. Dès la préhistoire se repèrent des lieux ou des choses sacrées. « On ne connait pas de société, fût-elle officiellement athée, qui n’ait en son sein un point de sacralité légitimant le sacrifice et interdisant le sacrilège »."
"Le sacré a une fonction magnétique ; un lieu sacralisé c’est toujours un point de ralliement, un but de pèlerinage, à chaque mouvance le sien."
"Appartient au politique ce qui est institué pour faire barrage à l’entropie, à la dissipation des liens, à l’éclatement du corps social en électrons libres. C’est le principe symphonique capable d’instaurer une convergence suffisante entre des individus qui ne se ressemblent qu’en partie et souvent même se détestent."
"Il n’y a pas d’entre soi humain (durable) qui ne s’appuie sur une référence extérieure ou transcendante. Entendons bien, il ne dit pas : il y a des collectifs humains et une fois constitués, il leur faut des ouvertures célestes qui viennent les consolider. C’est du même geste que les collectifs s’agrègent et se croient témoins ou enfants d’un sur-monde quelconque. Le transcendant fonde l’immanent. Ce transcendant peut-être un héros fondateur, un mort exemplaire, un mythe d’origine, une promesse eschatologique, un texte « sacré », un lieu de mémoire, une bataille mythique, une idée régulatrice (comme celle de République ou hier de Révolution). Il faut quelque chose qui sacralise l’espace et le temps social et galvanise les énergies. Le principe de cohésion des groupes sociaux relève d’une croyance partagée. Croyance, c’est-à-dire adhésion à quelque chose, être ou vie, qui, surchargé de sens, n’est pas/plus empiriquement vérifiable mais qui soulève le cœur et mobilise les émotions."
"Régis Debray distingue quatre types d’histoire. L’histoire objet d’étude, celle des « fouilleurs d’archives », l’histoire-science des professeurs et des chercheurs. L’histoire objet de méditation. Celle des philosophes, disons de Vico à Marx, en passant par Hegel. C’est l’histoire de l’humanité comme un seul peuple, dont on attend des leçons et la découverte d’un sens. L’histoire, objet de consommation. La plus populaire, celle des animateurs de télévision, des sites classés et des promeneurs du dimanche. Celle du tourisme local, du patrimoine qui donne « des racines et des ailes » ; elle suscite une curiosité de sympathie et peu d’inquiétude.
Régis Debray propose d’ajouter un autre type qu’il appelle l’histoire comme objet d’imagination. C’est l’histoire entraînante, celle qui rassemble, convoque, mobilise. « Elle donne du cœur au ventre, élève ses envoûtés au-dessus d’eux-mêmes, tout en leur assurant pour l’avenir des larmes et du sang… C’est l’histoire qui ressurgit au Kremlin quand la Wehrmacht est dans les faubourgs de Moscou, et à Westminster quand Londres a la Luftwaffe au-dessus du toit » ; celle qui conduit à Londres un général « parce qu’il se fait une certaine idée (imaginaire) de la France ». C’est l’histoire qui suscite « un rêve éveillé qui ne doute de rien… et… fait marcher parce que[le sujet] marche à l’admiration, et non à la débine, au frisson plus qu’à la logique, au mythe plus qu’à la loupe ». Cette écriture de l’histoire est mieux entre les mains des écrivains que des intellectuels : ils sont plus doués pour les affaires de cœur et se fient plus à l’émoi qu’à l’idée. C’est une histoire sentimentale qui mélange le réel et la fiction. C’est là, bien sûr, un péché pour l’historien sérieux, mais peut-être que l’engagement historique se nourrit de ce mélange. Ce type d’histoire est en déclin : la scientificité et le « moi-je » contemporain s’épaulent pour le minorer. D’un côté, le chacun pour soi interdit les unions sacrées (elles ne vont pas sans renoncements individuels) et de l’autre, puisque les unions sacrées sont le produit d’une imagerie sentimentale, l’histoire rigoureuse n’en veut pas."
"Le théologico-politique est indépassable mais son élément imaginaire doit rester maîtrisé, sous contrôle et dans certaines limites."
-Gérard Courtois, « Régis Debray et le Théologico-Politique », Droit et cultures [En ligne], 76 | 2018/2, mis en ligne le 15 octobre 2018, consulté le 04 juin 2021. URL : http://journals.openedition.org/droitcultures/4910