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    Michael Löwy, Gustav Landauer, révolutionnaire romantique

    Johnathan R. Razorback
    Johnathan R. Razorback
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    Michael Löwy, Gustav Landauer, révolutionnaire romantique Empty Michael Löwy, Gustav Landauer, révolutionnaire romantique

    Message par Johnathan R. Razorback Dim 16 Mai - 21:32

    https://www.cairn.info/revue-tumultes-2003-1-page-93.htm

    "Né le 7 avril 1870 dans une famille juive bourgeoise et assimilée du sud-ouest de l’Allemagne, écrivain, philosophe, critique littéraire, ami de Martin Buber et de Kropotkine, rédacteur de la revue libertaire Der Sozialist (1909-1915), Gustav Landauer était anarchiste militant. Il deviendra en avril 1919 commissaire du peuple à la culture dans l’éphémère République des Conseils de Bavière, et sera assassiné par l’Armée le 2 mai 1919, après la défaite de la révolution à Munich. Son œuvre profondément originale a été définie par certains chercheurs modernes comme « un messianisme juif à caractère anarchiste. Gustav Landauer est avant tout un romantique révolutionnaire et c’est en partant de cette source commune que l’on peut rendre compte aussi bien de son messianisme que de son utopie libertaire. En réalité, le romantisme révolutionnaire se manifeste dans sa vision du monde d’une manière presque « idéaltypique »."

    "Son œuvre est étonnante tant par sa richesse que par son unité spirituelle. Outre La Révolution, publié en 1907 dans une collection de monographies sociologiques éditée par Martin Buber, ses principaux écrits sont L’Appel au socialisme (Aufruf zum Sozialismus, 1911), ouvrage de philosophie sociale libertaire, une étude sur Shakespeare en deux volumes (Shakespeare dargestellt in Vorträgen, 1920), qui est devenu un classique de la critique littéraire allemande, un recueil d’articles contre la guerre (Rechenschaft, 1919), et deux recueils d’articles littéraires et politiques publiés par Buber après la mort de son ami : L’Homme en devenir (Werdende Mensch, 1921) et Commencement (Beginnen, 1924). Il faudrait aussi ajouter un roman, Le Prédicateur de mort (Der Todesprediger, 1893), un recueil de nouvelles, Le Pouvoir et les pouvoirs (Macht und Mächte, 1903), un ouvrage philosophique, Scepticisme et mystique (Skepsis und Mystik, 1903), une collection de lettres sur la Révolution française (Briefe aus der franzözischen Revolution, 1919), des traductions diverses — Maître Eckhardt, Etienne de la Boétie, Proudhon, Kropotkine — et deux volumes de correspondance (publiés par Buber en 1929), Gustav Landauer, sein Lebensgang in Briefen.

    Dans un article autobiographique rédigé en 1913, Landauer décrit l’atmosphère de sa jeunesse comme une révolte contre le milieu familial, comme le « heurt incessant d’une nostalgie romantique contre les étroites barrières du philistinisme (enge Philister schranken) »."

    "Outre les poètes romantiques — notamment Hölderlin, qu’il compare dans une conférence de 1916 aux prophètes bibliques ! —, c’est de Nietzsche qu’il se réclame le plus fréquemment dans ses écrits. Mais, contrairement à l’auteur du Zarathoustra et à la plupart des autres critiques romantiques de la civilisation moderne, son orientation est dès le début socialiste et libertaire."

    "La philosophie romantique de l’histoire de Landauer s’exprime de la façon la plus frappante dans l’essai La Révolution (1907), le seul de ses écrits traduit en français. C’est un ouvrage fascinant, même si son argumentation est parfois confuse et son projet révolutionnaire reste trop vague. Contrairement aux socialistes de la IIe Internationale, Landauer ne croit pas au progrès économique, ou plutôt, il pense que dans le cadre du capitalisme les avancées techniques se retournent contre les exploités. A son avis « tous les progrès économiques et techniques, avec l’ampleur qu’ils ont pris, ont été intégrés dans un système de désorganisation sociale qui fait que chaque amélioration des moyens de travail et chaque allégement du travail aggravent la situation de ceux qui travaillent ». Mais sa principale critique au « progrès », à la modernité et à l’ère industrielle, c’est qu’ils ont conduit à la domination absolue du « véritable Antéchrist », de « l’ennemi mortel de ce qui avait été le vrai christianisme ou l’esprit de vie » : l’Etat moderne. Landauer appartient — comme William Morris, Ernst Bloch et d’autres — à un courant à l’intérieur du romantisme qu’on pourrait désigner comme révolutionnaire gothique, dans la mesure où il est fasciné par la culture et la société (catholiques) médiévales, où il puise une partie de son projet socialiste. En contradiction totale avec les doctrines du progrès dominantes au sein du mouvement ouvrier et socialiste de son époque, pour lesquelles le Moyen Age n’est qu’une époque de superstition et d’obscurantisme, il considère l’univers médiéval chrétien comme « un sommet culturel », une période d’épanouissement et de plénitude, grâce à l’existence d’une société fondée sur le principe de la stratification : un ensemble formé de multiples structures sociales indépendantes — guildes, corporations, confréries, ligues, coopératives, églises, paroisses — qui s’associent librement. Dans cette image — passablement idéalisée, cela va sans dire — de la société médiévale, un des traits les plus importants pour le philosophe libertaire était l’absence d’un Etat tout-puissant, dont la place était occupée par la société, par « une société de sociétés ». Certes, il n’en nie pas les aspects obscurantistes, mais il s’efforce de les relativiser : « Si l’on m’objecte qu’il y eut aussi telle et telle forme de féodalisme, de cléricalisme, d’inquisition, ceci puis cela, je ne peux que répondre : “Je le sais bien — et pourtant” ». L’essentiel à ses yeux c’est le haut degré de civilisation du monde gothique, grâce à la diversité de ses structures et à son unité."

    "Cet essai pionnier va exercer une profonde influence sur le renouveau de la réflexion sur l’utopie au début du XXe siècle, notamment dans les travaux d’Ernst Bloch et de Karl Mannheim.

    L’Appel au socialisme de 1911 développe et concrétise les thèmes esquissés dans La Révolution. Landauer s’attaque directement à la philosophie du progrès commune aux libéraux et aux marxistes de la IIe Internationale : « Aucun progrès, aucune technique, aucune virtuosité ne nous apporteront le salut et le bonheur. » Rejetant « la croyance dans l’évolution progressiste (Fortschrittentwicklung) » des marxistes allemands, il présente sa propre vision du changement historique : « Pour nous l’histoire humaine n’est pas faite de processus anonymes, et n’est pas seulement une accumulation d’innombrables petits événements... Là où il est advenu pour l’humanité quelque chose de haut et de grandiose, bouleversant et novateur, ce fut l’impossible et l’incroyable... qui ont apporté le tournant. »."

    "Les formes communautaires du passé, qui se sont préservées pendant des siècles de décadence sociale, doivent devenir « les germes et les cristaux de vie (Lebenskristalle) de la culture socialiste à venir ». Les communes rurales, avec leurs vestiges de l’ancienne propriété communale et leur autonomie par rapport à l’Etat, seront les points d’appui pour la reconstruction de la société ; les militants socialistes s’installeront dans les villages, aidant à ressusciter l’esprit des XVe et XVIe siècles — l’esprit des paysans hérétiques et révoltés du passé — et à rétablir l’unité (brisée par le capitalisme) entre agriculture, industrie et artisanat, entre travail manuel et travail spirituel, entre enseignement et apprentissage. Dans un essai sur Walt Whitman, Landauer compare le poète américain à Proudhon, en soulignant que les deux unissent « esprit conservateur et esprit révolutionnaire, individualisme et socialisme »."

    "Dès que la révolution éclate en Allemagne (novembre 1918), il salue avec ferveur « l’Esprit de la Révolution » dont il compare l’action à celle des prophètes bibliques. En janvier 1919, il écrit une nouvelle préface pour la réédition de L’Appel au socialisme, où son messianisme se manifeste dans toute son intensité dramatique, à la fois apocalyptique/religieuse et utopico-révolutionnaire : « Le Chaos est ici... Les Esprits se réveillent... que de la Révolution nous vienne la Religion — une Religion de l’action, de la vie, de l’amour, qui rend bienheureux, qui apporte la rédemption et qui surmonte tout. » A ses yeux les conseils ouvriers qui se développent en Europe sont « des parties organiques du peuple qui s’autogère (selbst-bestimmend) » et il est probable qu’il les considérait comme une figure nouvelle des communautés autonomes du Moyen Age.

    Ceci permet de comprendre pourquoi il s’engage dans l’éphémère République des Conseils ouvriers de Bavière (avril 1919), où il deviendra — pendant quelques jours seulement — le commissaire du peuple à l’Instruction publique. Au moment de la chute de la République des Conseils, le 2 mai 1919, il sera emprisonné et assassiné par les gardes blancs. Dans un article rédigé à ce moment, Martin Buber lui voue un dernier hommage : « Landauer est tombé comme un prophète et un martyr de la communauté humaine à venir »."
    -Michael Löwy, « Gustav Landauer, révolutionnaire romantique », Tumultes, 2003/1 (n° 20), p. 93-103. DOI : 10.3917/tumu.020.0093. URL : https://www.cairn.info/revue-tumultes-2003-1-page-93.htm






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